Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi, accusé par les défenseurs des droits de l'Homme de diriger un régime très répressif, a renforcé lundi son arsenal antiterroriste par une loi d'exception qui vise selon ses détracteurs à museler toute opposition de même que les médias.

Ce nouveau dispositif, décrété dimanche par le chef de l'État en l'absence de l'élection d'un Parlement, est mis en place alors que les attaques visant l'armée et la police se multiplient, commises essentiellement par le groupe djihadiste Province du Sinaï, la branche égyptienne de l'organisation État islamique (EI).

La nouvelle loi ne change fondamentalement pas grand chose concernant les lourdes peines et les pouvoirs exceptionnels de la police et de l'armée déjà prévus par la législation antiterroriste, que M. Sissi avait déjà durcie par des lois instaurant des tribunaux militaires pour les civils ou interdisant et réprimant toute manifestation sans autorisation.

Mais un article controversé prévoit une amende très lourde pour les journalistes et leurs médias, y compris étrangers, qui rapporteront des informations contredisant les communiqués et bilans officiels en cas d'attentats ou d'attaques. Le projet de loi initial prévoyait même la prison avant d'être adouci face à un début de bronca des journalistes.

La loi controversée instaure une amende de 200 000 à 500 000 livres égyptiennes (entre 33 600 et 84 000 dollars) pour toute personne diffusant ou publiant de «fausses» informations sur des attentats ou attaques, y compris sur les réseaux sociaux où les voix dissidentes sont actives.

Intimider les médias 

C'est une manière, selon les défenseurs des libertés, d'intimider les médias internationaux très présents au Caire et d'achever de museler une presse égyptienne qui chante pourtant quasi-unanimement des louanges à Sissi et sa «guerre contre le terrorisme».

«Cette loi interdit avec efficacité toute liberté d'expression, de rassemblement ou d'association et elle peut servir à réprimer toutes sortes de libertés», s'émeut Mohamed el-Messiry, spécialiste de l'Égypte à Amnistie Internationale, ajoutant: «Elle confère au président des pouvoirs qui relèvent d'ordinaire de l'état d'urgence».

Le nouveau texte protège notamment les policiers d'éventuelles poursuites en cas de recours excessif à la force «s'ils font face à une menace réelle et imminente» et prévoit la peine de mort pour ceux accusés d'avoir créé, dirigé ou financé une organisation «terroriste».

La «guerre contre le terrorisme» de l'Égypte de Sissi est dirigée essentiellement contre les Frères musulmans, lesquels condamnent pourtant régulièrement les attentats. Ils avaient remporté toutes les élections après la chute du régime de Hosni Moubarak, emporté par une révolte populaire fin 2011 dans la lignée du Printemps arabe.

«Plus répressif» que Moubarak

Après que Sissi, alors chef de l'armée, a destitué en 2013 le président élu démocratiquement Mohamed Morsi, un Frère musulman, le nouveau pouvoir a tué 1400 de ses partisans qui manifestaient essentiellement au Caire, emprisonné plus de 15 000 Frères musulmans ou sympathisants et condamné à mort en première instance des centaines d'entre eux dont M. Morsi.

«La multiplication des attaques terroristes montre que le nouveau régime échoue même sur son terrain de prédilection, la répression nourrit l'insurrection et, en dépit des innombrables et légitimes reproches que l'on peut adresser aux Frères musulmans, les mettre dans le même panier que Daech comme tendent à le faire les autorités égyptiennes, revient à faire un cadeau inestimable a Daech et à renforcer ce mouvement», analyse Karim Bitar, spécialiste du monde arabe à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) à Paris.

En représailles à cette politique, qualifiée par Amnistie Internationale et d'autres ONG de «plus répressive» que celle de Moubarak, des groupes djihadistes, dont Province du Sinaï, ont multiplié les attentats visant policiers et soldats, tuant des centaines d'entre eux en deux ans.

Récemment la branche égyptienne de l'EI a changé de stratégie en commençant à s'en prendre aux intérêts occidentaux.

Elle a revendiqué un attentat à la voiture piégée le 11 juillet contre le consulat d'Italie au Caire, qui a tué un passant, et la décapitation la semaine dernière d'un jeune Croate travaillant pour une compagnie française enlevé à 22 km au sud de la capitale.

Le 1er juillet, après une série d'attaques contre des militaires dans la péninsule du Sinaï, l'armée avait accusé les médias occidentaux de contredire les bilans officiels.