Un an après la mort de 63 jeunes migrants dans une embarcation de fortune au large de la Libye, l'OTAN et plusieurs armées, dont celle de la France, ont été mises en cause jeudi pour ne pas avoir répondu à leurs appels de détresse.

Plusieurs organisations non-gouvernementales ont annoncé leur intention de porter plainte pour «non assistance à personne à danger» contre les armées ayant participé au conflit contre le régime Kadhafi, et notamment l'armée française.

Le 26 mars 2011, quelques jours après le début du conflit libyen, 72 Africains, âgés de 20 à 25 ans, et deux bébés montent à bord d'un fragile canot pneumatique d'une dizaine de mètres de long. Ils ont payé des trafiquants pour fuir la Libye et rejoindre l'Europe.

«Il était complètement surchargé. J'avais quelqu'un assis sur moi, et cette personne avait quelqu'un d'assis sur elle», a témoigné Bilal, l'un des neuf survivants, dans un rapport publié jeudi par le Conseil de l'Europe après une longue enquête sur ce drame.

Très vite, la situation se détériore à bord. Le bateau, en panne de carburant, dérive. Les passagers n'ont rien à manger ni à boire. Ils arrivent à joindre par téléphone un prêtre érythréen basé à Rome qui alerte les autorités maritimes italiennes.

Quelques heures plus tard, un hélicoptère survole le canot et livre quelques bouteilles d'eau et des biscuits.

C'est la dernière aide que recevront les réfugiés, même s'ils croiseront deux bateaux de pêche, une frégate, probablement espagnole participant à l'opération de l'OTAN, et un navire de combat considéré comme italien.

Désespérés, les naufragés sont pris d'hallucinations. Une femme, prise de panique, se jette à la mer et «chaque jour, il y avait de plus en plus de gens qui mouraient», selon l'un des rescapés interrogés par la sénatrice néerlandaise Tineke Strik, auteur du rapport. En dernier ressort, les survivants «boivent leur urine mélangée à du dentifrice».

Le 10 avril, le canot est finalement rejeté sur les côtes libyennes. Les dix rescapés sont arrêtés, emprisonnés et, faute de soins, l'un d'eux meurt. Ils arriveront finalement à quitter la Libye en guerre.

«Dans cette affaire, plusieurs occasions de sauver les vies ont été perdues» car «personne n'a porté secours à ce bateau malgré les signaux de détresse», a regretté Mme Strik devant la presse à Bruxelles.

Son enquête met en lumière «un ensemble de défaillances» de la part des autorités libyennes, des services italiens de sauvetage maritime, des deux bateaux de pêche, de l'OTAN et des pays «dont les navires dans les environs du bateau ont manqué à leur obligation de sauver ces personnes».

C'est sur cette base qu'une première plainte devrait être déposée, au nom de plusieurs survivants, «contre l'armée française» auprès du «procureur du tribunal de grande instance de Paris durant la première quinzaine d'avril», a indiqué Stéphane Maugendre, avocat et président du Groupe français d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI), l'une des organisations associées à cette initiative.

Avec «27 navires engagés dans cette zone», «l'armée française ne pouvait ignorer la détresse de ces personnes», a-t-il expliqué. Des plaintes similaires devraient être prochainement déposées dans d'autres pays européens, selon lui.

Mise en cause, l'OTAN a affirmé jeudi avoir «fourni un nombre important d'informations» au Conseil de l'Europe mais aucune d'entre elles ne concerne ce bateau en particulier.

«Durant notre mission, les navires et avions de l'OTAN ont directement porté assistance à plus de 600 personnes et aidé à coordonner les secours à beaucoup d'autres», a souligné sa porte-parole, Oana Lungescu.