Depuis trois mois, plus d'une centaine de blessés syriens ont trouvé refuge dans le nord du Liban. Simples citoyens, ou déserteurs de l'armée syrienne, ils sont soignés dans la plus grande discrétion. Notre collaborateur a pu visiter deux hôpitaux qui accueillent ces blessés et raconte ici leur calvaire.

La main agrippée à la barrière de son lit d'hôpital, Mohammad tente lentement de se redresser sur son oreiller. Quand il tire son drap, ses deux jambes, recroquevillées dans son jogging usé apparaissent figées.

Paralysé du milieu du ventre à la plante des pieds, il n'est pas certain de pouvoir remarcher un jour. «Je ne peux pas m'asseoir plus de 30 minutes», raconte le jeune homme de 20 ans, qui parle d'une voix à peine audible.

«La balle m'a d'abord touché le bras, et est allée se loger dans mes reins et ma colonne vertébrale», se rappelle Mohammad. «C'était un vendredi à la fin du mois de mai, nous organisions une manifestation dans le quartier de Bab al Sbaa, à Homs, pour démonter une statue d'Hafez al-Assad (le père de l'actuel président syrien). Les forces de sécurité se sont mises à nous tirer dessus.»

Amené par ses proches dans un hôpital à Homs, il est opéré quelques heures plus tard. On lui extrait la balle incrustée dans le bas du dos. Il passe ensuite plusieurs mois alité chez lui, avec un médecin qui vient épisodiquement lui rendre visite, puis ne peut plus venir pendant deux mois, pour des raisons de sécurité.

En décembre, sa famille en Syrie décide donc de l'expédier au Liban pour poursuivre ses soins de physiothérapie. Mohammad est transporté en voiture jusqu'à la frontière syrienne, puis emprunte des chemins de traverse avec des contrebandiers pour aboutir dans la région de Wadi Khaled, au nord du Liban. De là, il est emmené par la Croix-Rouge dans un hôpital privé de la banlieue de Tripoli, grande ville sunnite au nord du pays du Cèdre.

Des dons pour soigner

À Tripoli, Mohammad est pris en charge par un réseau de militants syriens, les «comités de coordination des réfugiés syriens au Liban», créés en septembre dernier. Ce groupe a différentes tâches: enregistrement des réfugiés, coordination avec des associations caritatives libanaises, relations avec les médias étrangers, mais aussi soins des blessés.

«Nous finançons les traitements grâce à des donations de médecins syriens dans le Golfe ou des associations caritatives libanaises et étrangères», explique Abou Omar, responsable de la question des blessés au sein des comités de coordination.

«Les blessés les plus graves sont transférés à l'hôpital gouvernemental, où les soins sont en général financés pendant 48heures par le Haut Comité de secours, un organisme gouvernemental libanais. Ensuite, nous leur trouvons des places ailleurs et nous nous occupons du suivi», précise Abou Omar.

Une autre organisation s'occupe également des blessés syriens: il s'agit de la High Commission for Syrian Relief (HCFSR), dont le siège principal est en Turquie et qui vient en aide aux blessés et réfugiés au Liban, en Turquie et Jordanie.

Le HCFSR a loué depuis deux mois plusieurs étages d'un hôpital - que l'on ne peut nommer par crainte de représailles du régime syrien -, également dans une banlieue de Tripoli, afin d'accueillir des blessés syriens en convalescence. Avec ses murs jaunis et ses longs couloirs vides, le lieu ressemble presque à une clinique fantôme.

Les chambres sont sommaires: des lits non médicalisés, certains en bois, quelques couvertures, pas de télévision. Seule la salle de physiothérapie apparaît moderne et bien équipée.

Un médecin y fait un massage à un homme d'une cinquantaine d'années. Allongé sur le dos, il peine à respirer. «Pendant une semaine, il était inconscient. Les services de sécurité à Homs lui ont tiré 29 balles dans le corps, et il a dû subir trois opérations», nous explique-t-on.

Déserteurs en convalescence

L'établissement accueille actuellement une quinzaine de blessés. «Depuis les bombardements à Homs au début du mois de février, 25 blessés sont arrivés dans tout le Liban, alors qu'il y en a eu près de 2000», affirme l'homme qui gère le centre et se fait appeler Abou Raed.

«Une minorité de blessés arrive à traverser la frontière avec le Liban. Ils ne peuvent pas entrer par les points de passage officiels, et sur le reste de la frontière, de nombreuses mines déposées par l'armée syrienne rendent le passage difficile. La plupart des blessés sont encore soignés dans des hôpitaux de campagne en Syrie, car les hôpitaux gouvernementaux sont occupés par l'armée.»

Les blessés qui parviennent à franchir la frontière syro-libanaise arrivent désormais surtout dans la partie orientale du Liban, le long de la plaine de la Bekaa. Abou Raed ne s'en cache pas, son hôpital soigne également des déserteurs de l'Armée syrienne libre, qui combattent les forces loyales à Bachar al-Assad.

Ils viennent en particulier de la ville de Qusayr, à 10 km de la frontière libanaise, au sud de Homs, importante poche de résistance au régime syrien. Au détour d'une porte, on aperçoit entre deux hommes assoupis un drapeau noir, blanc et vert avec trois étoiles rouges au milieu: l'emblème de la révolution syrienne.