Ils ont bravé les forces de l'ordre pour défier le pouvoir dans le centre d'Alger et, samedi, les manifestants de la Place de la Concorde ne cachaient par leur fierté.

«Nous avons brisé le mur de la peur», a assuré Fodil Boumala, l'un des fondateurs de la Coordination nationale pour le changement et la démocratie (CNCD). «Ce n'est qu'un début !».

Universitaire et écrivain, il a manifesté avec quelque 2.000 participants au milieu d'un déploiement de forces anti-émeutes évalué à 30.000 hommes qui quadrillaient le centre de la ville de plus de trois millions d'habitants.

M. Boumala a été interpellé brièvement, mais son enthousiasme n'en a pas été entamé: «Les Algériens ont récupéré leur capitale», s'est il enflammé.

Lui et ses compagnons ont dû forcer le dispositif de sécurité pour se retrouver Place de la Concorde, plus connue des Algérois sous le nom de Place du 1er Mai.

Ils y ont rejoint des groupes de manifestants, contenus par des centaines de policiers casqués, équipés de boucliers, de matraques et de fusils d'assaut. Les rues adjacentes étaient barrées par des véhicules blindés.

«Depuis la bataille d'Alger, je n'ai pas vu autant de policiers», a ironisé un septuagénaire, membre du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, opposition), en souvenir de la mobilisation des troupes françaises en 1957, pour tenter de reprendre aux combattants algériens la Casbah d'Alger.

Les manifestants ont brandi une large banderole qui proclamait : «Système dégage», et scandé des slogans qui faisaient échos à ceux criés en Tunisie et en Égypte notamment «Algérie Libre» en arabe, «Le régime dehors!».

Plusieurs manifestants ont été arrêtés, a constaté un journaliste de l'AFP, et le ministère de l'Intérieur a fait état de 14 personnes brièvement interpellées. Pour la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme (LADDH), plus de 300 personnes l'auraient été à Alger, Oran (ouest) et à Annaba (est).

À Alger, un groupe de partisans du pouvoir, évalué à une quarantaine de personnes, sont intervenus brièvement. «Bouteflika n'est pas Moubarak», ont-ils lancé, en référence au chef d'État égyptien Hosni Moubarak qui a jeté l'éponge vendredi et au président Abdelaziz Bouteflika, en fonction depuis avril 1999.

Un chirurgien de 60 ans a tout de même estimé que, «pour la première fois, les Algériens ont montré qu'ils s'étaient tous unis contre le pouvoir».

Ali Belhadj, co-fondateur du Front islamiste du salut (FIS, dissous) était dans les rangs des marcheurs en même temps que le chef du RCD Saïd Sadi, ennemi juré des islamistes dans les années 1990.

M. Sadi était encerclé par une nuée de policiers qui l'ont empêché d'utiliser un porte-voix pour s'exprimer.

«Ils ont tout fait pour m'isoler et isoler Me Abdenour Ali Yahia (le président d'honneur de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'Homme) des manifestants», s'est plaint M. Sadi.

Dans la foule, des familles des disparus de la décennie noire des violences islamistes réclamaient la vérité sur le sort des leurs. «Je veux la vérité», criait une femme arborant le portrait de son fils disparu depuis 1997.

Le Collectif des familles de disparus en Algérie a comptabilisé 8.200 dossiers de disparus depuis le début des années 1990, et en rend responsable les forces de l'ordre .

La CNCD, qui regroupe des partis d'opposition, des organisations de la société civile et des syndicats non officiels, est née le 21 janvier dans la foulée des émeutes du début de l'année qui ont fait 5 morts, et plus de 800 blessés. Elle exige le changement du système, et dénonce le «vide politique» qui menace la société algérienne «d'éclatement».