Le procureur de la Cour pénale internationale a indiqué vendredi qu'il envisageait d'enquêter sur des cas de viols qui auraient été commandités par l'ancien régime à Misrata (ouest libyen), tout en respectant les traditions d'une société libyenne ultra-conservatrice.

«Au sujet de l'enquête sur les viols, nous avons décidé de respecter les traditions locales. De la mener (l'enquête) d'une manière différente», a déclaré Luis Moreno-Ocampo dans une interview à l'AFP.

«Nous construisons une enquête sur des viols sans (présenter) aucune victime de viol. Nous faisons en sorte de ne pas présenter des noms ou montrer des visages des victimes», a-t-il ajouté.

À cet effet, M. Ocampo s'est rendu vendredi à Misrata, à 200 km à l'est de Tripoli, pour examiner avec les responsables locaux comment collecter des preuves sans exposer les victimes dans un pays où parler de viol est un tabou.

«Nous allons nous baser sur les (témoignages des) médecins qui ont reçu des centaines de victimes, les dossiers des hôpitaux, certaines vidéos, des (témoignages de) soldats et des gens dans l'armée qui ont raconté ce qui s'est passé. Nous planifions de procéder ainsi», a précisé M. Ocampo.

Misrata accuse le régime libyen d'avoir utilisé le viol «comme une arme» contre les habitants de la ville, durant les semaines de combats qui furent parmi les plus sanglantes du soulèvement libyen contre le dirigeant défunt Mouammar Kadhafi.

M. Ocampo qui se trouve en Libye depuis mercredi, a expliqué vendredi devant des responsables de la ville de Misrata que la CPI voulait poursuivre des hauts responsables accusés d'avoir commandité des viols et qui se trouvent à l'étranger, donc «difficile pour le système judiciaire libyen de les atteindre».

«Le plan que nous avons est de voir si nous pouvons travailler ensemble pour présenter une affaire de viol (devant la CPI) et arrêter une ou deux personnes de haut niveau, qui, probablement, ne sont pas en Libye», a-t-il expliqué.

Par la suite, «il y aura une nouvelle discussion sur la façon de faire un procès», a ajouté M. Ocampo.

Le procureur de la CPI a également souligné la nécessité de protéger et d'honorer les victimes.

«De la même manière que la Libye considère comme des martyrs ceux qui sont morts et comme des héros ceux qui ont perdu une jambe, les jeunes femmes violées sont aussi des héroïnes.»

Ainsi, les familles et les dirigeants politiques doivent «en parler» et les «familles peuvent les aider et leur faire comprendre qu'elles sont fières d'elles», a-t-il ajouté à l'AFP.

«Ceci pourrait être un moyen de respecter les traditions locales et en même temps de résoudre le problème. Sinon, les femmes (violées) auront deux problèmes: elles ont été violées, et maintenant elles sont marginalisées.»

En juin, M. Ocampo avait déclaré que les enquêteurs de la CPI disposaient de preuves que Mouammar Kadhafi avait ordonné des viols en série durant le conflit libyen et fait distribuer pour cela des stimulants sexuels de type Viagra à ses soldats.