Le Premier ministre de transition en Tunisie Mohammed Ghannouchi a démissionné dimanche sous la pression de la rue et a été remplacé par un ancien ministre, Béji Caïd Essebsi, qui aura la délicate tâche de mener le pays jusqu'aux élections prévues avant la mi-juillet.

La chef de la diplomatie de l'UE, Catherine Ashton a souhaité que le nouveau gouvernement conduise une «transition rapide et en douceur» mais la puissante centrale syndicale tunisienne a regretté une nomination «rapide et sans consultation» qui constitue une «surprise».

M. Ghannouchi a été emporté par 48 heures de contestations et de violences qui ont fait au moins cinq morts à Tunis, seulement un mois et demi après la chute du président Zine El Abidine Ben Ali.

«J'ai décidé de démissionner de ma fonction de Premier ministre. (...) Je ne serai pas le Premier ministre de la répression», a déclaré M. Ghannouchi qui, lors d'une conférence de presse, a mis en garde contre «un complot» tramé contre «la révolution».

Plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées en soirée devant la résidence de M. Ghannouchi dans la proche banlieue de Tunis pour lui exprimer leur soutien, selon des témoins.

Le Premier ministre, dont le départ était réclamé depuis plusieurs semaines par les manifestants anti-gouvernement, a aussitôt été remplacé par Béji Caïd Essebsi.

M. Caïd Essebsi «est connu pour son patriotisme, sa fidélité et son abnégation au service de la patrie», a indiqué le président par intérim Foued Mebazaa, qui a rendu hommage au démissionnaire pour avoir «servi la Tunisie dans les circonstances délicates» qui ont suivi la chute du président Ben Ali.

Réputé pour être un libéral, Béji Caïd Essebsi a occupé plusieurs postes ministériels sous la présidence de Habib Bourguiba, père de l'indépendance de la Tunisie, occupant notamment les portefeuilles de la Défense et des Affaires étrangères.

La démission de Mohammed Ghannouchi, contesté pour avoir été le dernier chef du gouvernement du président déchu Ben Ali, a été accueillie avec soulagement dimanche après-midi dans les milieux politiques à Tunis.

«Nous nous attendons à la formation d'un nouveau gouvernement transitoire, en rupture totale avec l'ancien régime et qui fera l'objet d'une entente entre toutes les forces politiques dans le pays», a déclaré à l'AFP l'opposant de gauche Hamma Hammami.

La démission de M. Ghannouchi est la conséquence de «l'incapacité du gouvernement à mettre fin à la violence et à son hésitation», a commenté à l'AFP le secrétaire général adjoint de l'Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), Ali Ben Romdhane.

La Haute représentante de l'UE pour les Affaires étrangères a de son côté espéré que «le gouvernement de transition» puisse «assurer une transition rapide et en douceur».

Mme Ashton a salué la nomination de Béji Caïd Essebsi au poste de Premier ministre et s'est félicitée que les élections soient prévues «avant la mi-juillet».

Mais cette nomination «rapide et sans consultation a été une surprise», a estimé le responsable de l'UGTT, M. Ben Romdhane. L'UGTT, en pointe dans la contestation du régime de Ben Ali, est très influente dans le pays grâce à sa représentativité dans les différentes régions du pays.

«Comment peut-on s'assurer l'entente souhaitée pour sortir la Tunisie de la situation difficile lorsque le président ne se donne pas au moins 24 heures pour des consultations sur la désignation d'un Premier ministre, quel qu'il soit?», s'est interrogé le syndicaliste.

«Mohammed Ghannouchi n'était pas à sa place» et sa démission «va calmer l'opinion publique», a pourtant estimé le syndicaliste Abdel Jalil Bedoui, conseiller de l'UGTT.

Selon lui, le sit-in observé depuis une dizaine de jours sur la place de la Kasbah, siège du gouvernement à Tunis, et réclamant le départ de M. Ghannouchi, devrait être levé. Mais ce sit-in a été maintenu par ses organisateurs.

Dimanche, le coeur de la capitale tunisienne avait encore des allures de champ de bataille.

Scandant des slogans hostiles au gouvernement, des protestataires avaient tenté de s'approcher en petits groupes du ministère de l'Intérieur, sur l'avenue Habib Bourguiba, épicentre des émeutes, auquel ils s'étaient déjà attaqués la veille.

Les heurts se sont rapidement arrêtés sitôt connue la nouvelle de la démission du Premier ministre, une annonce qui n'a toutefois pas été saluée par une explosion de joie.