Les dirigeants des pays de l'UE, accusés d'avoir trop longtemps toléré des régimes autoritaires sur leur flanc sud par peur de l'islamisme, vont devoir commencer à repenser leur relation avec le monde arabe lors d'un sommet vendredi à l'ombre de la contestation égyptienne.

Les priorités de la réunion, prévue de longue date à Bruxelles, ont été largement chamboulées.

Alors qu'elle devait être à l'origine centrée sur la politique énergétique de l'Europe et la crise de l'euro, l'attention sera très largement focalisée sur la vague de contestation qui ébranle une bonne partie de la rive sud de la Méditerranée et contraint les Européens à revoir leur stratégie.

«L'Europe doit changer radicalement son paradigme sur la région et sa manière de percevoir le monde arabe», a estimé cette semaine l'universitaire tunisien Azam Majoub, venu à Bruxelles parler des leçons à tirer par le Vieux continent des derniers soubresauts.

«L'Europe a commis une énorme bévue en percevant les régimes autoritaires arabes comme un rempart à l'islamisme. C'est une humiliation pour nous de toujours agiter l'épouvantail islamiste et de croire que les pays arabes ne sont pas prêts pour la démocratie», a-t-il ajouté.

Qu'il s'agisse de la révolution tunisienne, du Yémen ou des manifestations anti-Moubarak en Égypte, l'UE et ses pays membres sont apparus pétrifiés. Au mieux à la traîne des Etats-Unis qui donnent le ton des réactions occidentales, au pire complaisants à l'égard des régimes en place.

Un peu plus de 20 ans après l'euphorie qui avait accompagné la chute du rideau de fer communiste en son coeur et l'ouverture de l'Europe de l'Est à la démocratie, le contraste est saisissant.

Mercredi, devant le Parlement européen, le chef de file des élus Verts Daniel Cohn-Bendit a accusé l'UE de s'être trop longtemps satisfaite d'une vision du monde arabo-musulman où la seule alternative serait entre dictatures et théocraties.

«Il y a une troisième voie, la lutte pour la liberté contre la dictature et la théocratie», a-t-il lancé.

«Nous avons un peu oublié que des gens vivent là, qui veulent aussi la démocratie, et le droit de se déterminer eux-mêmes», admet le ministre luxembourgeois des Affaires étrangères Jean Asselborn.

Une remise à plat est jugée par beaucoup nécessaire dans l'UE, ce qu'a reconnu à demi-mots son président Herman Van Rompuy dans sa lettre d'invitation au sommet. Il y appelle les dirigeants à passer en revue «les derniers événements survenus en Égypte et en Tunisie et leurs implications pour la région elle-même ainsi que pour l'Union européenne».

En Tunisie, l'Europe promet son aide à l'organisation des élections, au développement économique et à la société civile.

Mais pour beaucoup, la stratégie traditionnelle de petits pas suivie par les 27 à l'égard des régime autocratiques dans le cadre de sa politique dite de «voisinage» - consistant à parier d'abord sur l'aide économique, via la coopération ou le commerce, dans l'espoir qu'elle conduira ensuite aux réformes démocratiques - a failli et devrait être inversée.

«Après l'Europe du Sud dans les années 1970, l'Amérique latine dans les années 1980 et l'Europe centrale et orientale dans les années 1990, il semblerait que le tour de la Méditerranée soit venu», estime Alvara de Vasconcelos, de l'institut européen d'études de sécurité.

«Il est d'un intérêt vital pour l'Europe que la démocratie s'enracine enfin dans cette région» située à sa porte, ajoute-t-il. Pour lui, ses dirigeants doivent se montrer aussi sourcilleux du respect des libertés publiques au Sud, qu'ils ne le sont à l'Est à l'égard du Bélarus ou il y a peu encore de l'Ukraine.