Boubacar Sadeck a fui les islamistes. Il a apporté des manuscrits vieux de plusieurs siècles, craignant qu'ils soient détruits par les combattants liés à Al-Qaïda. Le dernier copiste de Tombouctou veut sauver la conscience de ce qui fut jadis un des plus grands carrefours intellectuels d'Afrique.

Boubacar Sadeck calligraphie des textes tranquillement dans son petit atelier, bien loin du tumulte du centre-ville de Bamako. Autour de lui, des parchemins élimés provenant de Tombouctou.

«Quand je me suis intéressé aux manuscrits, personne ne s'y intéressait. Je suis le seul de ma génération qui se donne à ce travail.»

Son travail est désuet. Il le dit lui-même: beaucoup de familles préfèrent tout simplement photocopier les ouvrages. N'empêche, il continue de les reproduire sur des parchemins.

Il fait lui-même son encre, à base de charbon et de gomme arabique. Il utilise une plume archaïque et reproduit les caractères lentement, d'un geste assuré. Son entêtement à maintenir une pratique ancestrale cache un désir de préserver l'héritage de tout un continent.

«Les manuscrits, c'est le grand trésor derrière la légende de Tombouctou. On trouve toutes les disciplines qu'on peut imaginer: théologie, histoire, géographie, jeux de hasard, médecine traditionnelle.»

Centre intellectuel

Certains manuscrits datent du XIIIe siècle. Mais c'est à partir du XVe siècle que la ville est devenue un centre intellectuel où les plus grands esprits des mondes musulman et africain se rencontraient pour partager leur savoir.

À l'époque, les copistes gagnaient une fortune à retranscrire le savoir des érudits. On ignore le nombre exact de manuscrits que cache la ville de Tombouctou, mais il dépasserait les centaines de milliers.

Dans son atelier de Tombouctou, situé à quelques mètres de la grande mosquée de Djingareyber, de nombreux touristes venaient voir le copiste. Plusieurs notables y passaient aussi.

Boubacar a quitté Tombouctou avec plusieurs manuscrits, craignant que les islamistes ne les détruisent. Il s'est réfugié avec la famille de son frère dans la grande maison d'un notable touarègue à Bamako. Sa nièce, une toute petite fille maigre aux yeux ronds, observe son oncle. «Elle est très curieuse. J'ai peur qu'elle abîme le manuscrit. Mais je la laisse faire. Elle veut apprendre. Je veux l'encourager.»

Pour que les manuscrits puissent vivre, il faut que les gens interagissent avec eux, selon Boubacar Sadeck. «Je veux enseigner la calligraphie aux Tombouctiens pour qu'ils comprennent l'importance des manuscrits. C'est mon combat!»

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CACHER LES MANUSCRITS



Chassés de Tombouctou il y a quelques jours, les islamistes liés à Al-Qaïda ont tenté de se venger en brûlant l'Institut Ahmed Baba, centre financé par l'Afrique du Sud et voué à la préservation des manuscrits.

Bilan: plus de peur que de mal. La plupart des manuscrits n'avaient pas encore été déménagés dans le nouveau bâtiment incendié. «Une grande majorité d'entre eux a été sauvée. Je pense, vraiment, plus de 90%», a déclaré hier à l'AFP Shamil Jeppie, directeur du projet.

Les Tombouctiens avaient déjà pris des mesures pour sauver leur patrimoine. «Avec les évènements, j'ai contacté les familles qui gardent des manuscrits. Les gens ont commencé à enlever les manuscrits dans les bibliothèques et à les cacher à la maison. On les a protégés comme on a pu», explique le copiste Boubacar Sadeck.