Angela Merkel peste certes officiellement contre la fermeture «unilatérale» de la route des Balkans, mais celle-ci fait les affaires de la chancelière allemande, au moment où sa politique migratoire contestée risque d'entraîner une défaite électorale dimanche.

La dirigeante conservatrice n'a eu cesse malgré l'arrivée de plus d'un million de demandeurs d'asile de mettre en avant les «valeurs» humanitaires européennes pour expliquer sa politique d'ouverture et dénoncer la décision de pays des Balkans de fermer l'itinéraire qui conduit les migrants de Grèce en Allemagne.

Mais signe que le verrouillage des frontières n'est dans la réalité pas pour déplaire aux autorités à Berlin, le ministre de l'Intérieur Thomas de Maizière s'est ouvertement félicité de la baisse du nombre des arrivées.

Et quand Mme Merkel y voit des égoïsmes nationaux, M. de Maizière loue un début de solution européenne à pérenniser avec l'accord en cours de négociations avec la Turquie.

«Le temps du laissez-passer est terminé, et cela désormais sur la base européenne coordonnée», a-t-il lâché à Bruxelles jeudi.

«Cynisme»

S'il est vrai que l'Allemagne a «seulement» comptabilisé 61 428 arrivées en février, 33% de moins que les 92 000 de janvier, il n'en reste pas moins que des dizaines de milliers de migrants souhaitant se rendre en l'Allemagne et en Europe du Nord sont bloqués en Grèce.

De quoi s'attirer les foudres des Verts (opposition) qui dénoncent le «cynisme» du gouvernement.

«Il faut vraiment le dire, c'est cynique quand on se réjouit qu'il y ait moins de réfugiés» tout en critiquant la fermeture de la route des Balkans, dit à l'AFP Luise Amtsberg, porte-parole des écologistes pour la politique sur les réfugiés.

Cette «contradiction» existe depuis des mois, dit-elle, Berlin limitant par petites touches l'accès à l'asile et renvoyant des milliers de migrants en Autriche.

Le premier ministre slovène Miro Cerar a lui aussi mis en exergue l'ambivalence allemande.

«Nous constatons une étrange contradiction entre ce que dit le gouvernement et ce qui se passe aux frontières. Berlin dit d'un côté que les frontières restent ouvertes aux réfugiés mais de l'autre il y a depuis un moment des limitations pour passer les frontières allemandes», a-t-il dit dans le quotidien Die Welt.

Horst Seehofer, le chef des conservateurs bavarois et premier détracteur de la politique migratoire de Mme Merkel, a quant à lui mis soudainement en sourdine ses critiques ces derniers temps : de son propre aveu, l'Allemagne est le «principal bénéficiaire» de l'action des pays d'Europe de l'Est qui ferment leurs portes aux migrants.

En Autriche, dont l'annonce de quotas d'accueil pour 2016 a entraîné par ricochet la fermeture des Balkans, on ironise aussi sur une certaine duplicité allemande.

«Merkel souffle un coup»

«Si quelqu'un est pour l'accueil des réfugiés, comme notre voisin l'Allemagne, il a la possibilité d'aller les prendre en charge directement à partir des centres d'accueil. Mais ce qui n'est pas possible, c'est que l'un (sous-entendu Mme Merkel) dise ''qu'ils viennent'' et que le ministre (allemand) de l'Intérieur dise ''l'Autriche doit arrêter de (les) laisser passer», a récemment protesté le chancelier autrichien Werner Faymann.

«Un partage des tâches -certains en Europe travaillent au prix Nobel de la Paix et d'autres se salissent les mains-, ça ne marche pas», a taclé le président du parti libéral FDP, Christian Lindner, dans une allusion au fait que Mme Merkel figurait parmi les nobélisables l'an passé.

Face à l'envolée des populistes de droite dans les sondages en Allemagne et aux scores mitigés de la CDU de Mme Merkel attendus aux élections dans trois régions dimanche, la fermeture de la route des Balkans peut donc apparaître comme une bonne nouvelle.

«Si tout cela va à l'encontre de la volonté d'Angela Merkel qui s'est prononcée contre la fermeture de la route des Balkans (...) Merkel peut souffler un coup. La chute du nombre des réfugiés vient alléger le fardeau de la CDU avant les élections régionales», constate le journal régional Neue Osnabrücker Zeitung.

Vendredi, le vice-chancelier social-démocrate, Sigmar Gabriel, a reconnu dans un entretien avec la radio publique MDR que certains n'hésitaient pas à dire que «des États en Europe de l'Est font le sale boulot pour les Allemands en érigeant des frontières».