Selon un nouveau rapport de la Fondation Abbé Pierre, 3,5 millions de Français sont mal logés ou carrément à la rue. Et 6,6 millions de personnes risquent de basculer à leur tour en raison de la précarité de l'économie. Cet important problème de société vient d'être illustré, encore une fois, par une expulsion survenue récemment à Paris.

Thomas pensait avoir trouvé un bon plan lorsqu'il s'est installé l'automne dernier dans un ancien théâtre de la rue de l'Échiquier, dans le 10e arrondissement de Paris.

 

L'illusion a duré jusqu'à tout récemment. Des agents de sécurité accompagnés de chiens sont entrés dans l'immeuble vétuste et l'ont sommé de partir en même temps qu'une quinzaine d'autres squatteurs.

«Les mecs étaient venus pour casser du squatteur», a raconté Thomas, 45 ans, ancien ouvrier du bâtiment qui s'est retrouvé à la rue il y a quelques années à la suite d'un accident du travail.

«Ils ont essayé de me provoquer pour que mon chien les attaque, question d'avoir un prétexte pour me mettre dehors», a ajouté l'homme, d'origine guadeloupéenne, en montrant son molosse, Awa.

Selon lui, au moins deux occupants ont été frappés et ont porté plainte à la police. Finalement, la plupart des squatteurs sont sortis. Sept personnes, dont Thomas, sont restées à l'intérieur.

Les agents de sécurité, dit-il, se sont ensuite postés à l'entrée pour empêcher ceux qui sortaient de revenir dans l'immeuble, qui doit être démoli sous peu pour permettre la construction de logements sociaux.

Droit au logement (DAL), qui vient en aide aux anciens occupants de l'immeuble, affirme qu'il a fallu faire passer des provisions par les fenêtres aux personnes restées à l'intérieur.

Risque grave

Le «siège» a finalement pris fin la semaine dernière, après que la préfecture eut ordonné l'évacuation de l'immeuble par la police en raison du «risque grave» posé par son piètre état.

«Sous prétexte de construire des logements sociaux, on met à la rue des gens en situation précaire sans leur proposer de solution», déplore Julie Gestel, porte-parole du DAL.

Son collègue Souhil Boukris juge «scandaleux» que le propriétaire de l'immeuble, la société La Sablière, qui gère des milliers de logements sociaux en Île-de-France, utilise la manière forte. Les squatteurs qui sont établis depuis plusieurs mois dans un immeuble ne peuvent normalement pas être évincés sans ordonnance juridique.

La Sablière prétend que tout a été fait dans les règles. «On ne fait pas d'évacuation comme ça en accord avec nous-mêmes», souligne Anne Gobin, directrice clientèle et marketing de l'organisation. L'immeuble, dit-elle, était dangereux et devait être évacué rapidement. Elle précise que, à sa connaissance, il n'y a pas eu de violence à cette occasion et ajoute que toutes les personnes évincées se sont vu proposer un autre logement.

Un Français sur six

Leur situation, aussi difficile soit-elle, n'est pas incroyablement originale. Dans un rapport paru la semaine dernière, la Fondation Abbé Pierre relève que 3,5 millions de personnes sont mal logées ou sans logement en France. Et 6,6 millions vivent dans une «situation de grande précarité» susceptible de les faire basculer à leur tour dans la misère. Pour un total de quelque 10 millions, soit un Français sur six.

Ce «grave problème de société» s'est encore aggravé avec la crise économique, précise l'organisation, qui dénonce l'augmentation des loyers et la construction insuffisante de logements sociaux.

Pour corriger le tir, les dirigeants de la fondation proposent notamment que les nouveaux immeubles offrent au moins 30% de leurs logements à des prix modiques. Ils demandent également que les loyers soient régulés plus étroitement, comme on le fait au Québec, de manière à éviter des augmentations déraisonnables au changement de locataire.

L'Union nationale de la propriété immobilière pense que la fondation exagère la gravité de la situation, notamment parce que la qualité des logements aurait tendance à s'améliorer avec les années.

Thomas aimerait bien avoir un logement de qualité, voire un logement tout court. Malgré les promesses d'aide avancées par les travailleurs sociaux, il ne se fait guère d'illusion sur ses chances d'en trouver un à court terme.

Depuis son expulsion, il dort dans le hall d'un immeuble où il pénètre avec une clé magnétique normalement utilisée par les postiers. «J'arrive tard le soir, quand tout le monde est déjà rentré, et je repars tôt le matin pour ne pas me faire prendre.C'est vraiment la galère.»