Mort mardi à l'âge de 77 ans, Ted Kennedy était sans contredit la coqueluche de l'Amérique progressiste. Sa carrière a été aussi remarquable que fructueuse. Mais son ascension a été freinée par plusieurs dérapages. Nos journalistes se penchent sur les hauts et les bas du vieux lion du Sénat, à qui les Américains rendent hommage ces jours-ci avec émotion.

La photo, prise en mars 1963, montre deux jeunes hommes en train de se serrer la main. L'un est blanc, riche et célèbre, l'autre noir, infortuné et inconnu. Ils se sont en quelque sorte retrouvés hier dans une vaste salle vitrée de la bibliothèque présidentielle John Kennedy donnant sur la baie de Dorchester, qui scintillait sous le soleil matinal.

 

«Je suis probablement un des premiers de ses commettants à qui Ted Kennedy est venu en aide», a raconté Arnold Howe après s'être recueilli devant le cercueil du sénateur décédé à 77 ans des suites d'une tumeur au cerveau. «J'avais fait des études en économie à Harvard et je voulais travailler dans une banque, mais ce secteur était fermé aux Noirs à l'époque. Grâce à l'intervention de mon sénateur, j'ai eu un poste au département du Trésor», a ajouté le Bostonien de 77 ans en tenant dans ses mains la précieuse photo attestant de sa première rencontre avec le dernier des frères Kennedy.

Des dizaines de milliers d'admirateurs ont fait la queue au cours des deux derniers jours pour rendre un dernier hommage à Ted Kennedy, dont le cercueil était exposé dans la bibliothèque dédiée à son frère assassiné. La foule n'était pas uniquement composée de citoyens du Massachusetts. S'y trouvaient également des touristes américains et étrangers venus honorer la mémoire d'un sénateur légendaire dont l'action a contribué à la transformation des États-Unis et dont l'influence s'est fait sentir dans plusieurs pays et régions du monde, dont l'Afrique du Sud et l'Irlande du Nord.

Mais ses électeurs de Boston et des environs étaient de loin les plus nombreux. Et plusieurs d'entre eux, à l'instar d'Arnold Howe, pouvaient raconter une ou plusieurs anecdotes illustrant la façon dont Ted Kennedy était intervenu dans leur vie.

«Mon père était maçon et il a subi une grave blessure au dos en tombant d'un échafaudage», a raconté Jeanne MacIsaac, qui était accompagnée de sa mère Nellie, âgée de 78 ans. «Ayant à subvenir aux besoins de six enfants et ne pouvant travailler, il a pris du retard dans ses paiements hypothécaires, si bien que la banque menaçait de saisir notre maison. Mon père a envoyé une lettre au sénateur Kennedy lui expliquant notre situation et nous n'avons plus jamais entendu parler de la banque par la suite.»

La situation du fiancé de Joanne Smith n'était pas aussi dramatique. Employé des postes dans l'Ohio, il voulait être muté dans le Massachusetts afin de pouvoir vivre et travailler dans le même État que sa future épouse. Deux semaines après avoir envoyé une lettre au sénateur Kennedy, son voeu a été exaucé.

«Quand on lui demandait quelque chose, il le faisait», a déclaré Joanne Smith, qui a donné à sa fille le prénom de la fille unique de Ted Kennedy, Kara.

Le hasard a voulu hier que la Bostonienne de 69 ans puisse serrer la main de Jean Kennedy Smith, la soeur de Ted Kennedy et l'unique survivante parmi les neuf enfants de Rose et Joseph Kennedy. Comme plusieurs autres membres du clan bostonien, celle-ci a tenu à saluer et à remercier personnellement les gens qui faisaient la queue sous un soleil de plomb. Elle avait notamment été précédée par son fils William, dont le procès pour viol au début des années 90 avait contribué à ternir l'image des Kennedy (il avait été acquitté).

Mais la ville de Boston et une bonne partie du monde ont choisi d'oublier les zones d'ombre dans le passé du clan Kennedy, dont le sénateur défunt était devenu le patriarche aimé et admiré. «Merci Ted», pouvait-on lire hier sur plusieurs affiches et panneaux de signalisation de Boston et des environs.

«Sa passion et son franc-parler étaient fortement appréciés à Boston», a déclaré Owen Cahill, 23 ans, casquette des Red Sox vissée sur la tête, au sortir de la bibliothèque John Kennedy. «Son attitude ne plaisait pas à tout le monde aux États-Unis, mais les Bostoniens se reconnaissaient en lui.»

Même si elle a vu le jour en Haïti, Marie Pierre, 60 ans, se reconnaissait également en cet homme «qui s'est toujours battu pour les moins fortunés».

«Il était la voix du Massachusetts, a-t-elle ajouté. Il ne sera jamais remplacé.»