Les « begpackers », ces Occidentaux qui mendient en Asie du Sud-Est pour financer leur voyage, s'attirent de plus en plus de critiques. « Je suis choqué quand je les vois », explique à La Presse un Thaïlandais qui documente le phénomène sur son fil Twitter.

Ils s'installent près des bouches de métro et des places publiques dans de grandes villes en Thaïlande, ou en Malaisie, à Singapour ou à Hong Kong. Certains vendent leurs photos ou grattent un air de Guns N' Roses à la guitare. D'autres encore vont à l'essentiel et tiennent un simple écriteau : « SVP, aidez-moi à financer mon voyage. »

La présence de ces « begpackers » (néologisme formé de « to beg », mendier, et « backpackers », voyager le sac au dos), ces Occidentaux qui tendent la main pour financer leurs aventures loin de chez eux, passe de moins en moins inaperçue en Asie. D'autant que ces jeunes mendiants possèdent souvent des biens de valeur (appareils photo, amplificateurs, etc.) qui signalent qu'ils ne sont pas exactement en train de mourir de faim.

« Je suis choqué quand je les vois, parce que les Thaïlandais et les Asiatiques en général croient que les Occidentaux sont riches et qu'ils ont des ressources à leur disposition », explique en entrevue avec La Presse un Thaïlandais de Bangkok qui demande de garder l'anonymat, et qui a diffusé plusieurs photos de begpackers sur Twitter sous l'identité @ImSoloTraveller.

« PHÉNOMÈNE NOUVEAU »

Cela fait environ trois ans qu'il remarque leur présence dans les lieux populaires de Bangkok. « Ça semble être un phénomène nouveau. Peut-être que ces gens ont trop dépensé durant leur voyage ? Les Thaïlandais sont gentils et s'ils voient des étrangers demander de l'argent, ils vont leur en donner. Cela dit, ils perdent en même temps tout respect pour eux. »

Rama Kulkarni, étudiante à l'Université de Hong Kong, a été surprise lorsqu'elle a vu un Occidental en bonne santé mendier dans Wan Chai, le quartier des affaires de Hong Kong, en 2016. « Une personne sur cinq vit sous le seuil de la pauvreté à Hong Kong », écrit-elle sur son blogue. 

« Chers touristes blancs, si vous comptez venir ici pour assouvir vos passions orientalistes, au moins faites-le avec votre propre argent. » - Rama Kulkarni

Pour l'anthropologue Karine Bates, directrice du Pôle de recherche sur l'Inde et l'Asie du Sud à l'Université de Montréal, les images de jeunes Occidentaux en train de solliciter des dons en Asie créent un malaise.

« On voit que certains ont des instruments de musique, des appareils photo... Si tu es vraiment mal pris, vends ton appareil photo. Tu vas pouvoir manger pendant un mois ! »

« MANQUE DE REPÈRES HISTORIQUES »

Pour Mme Bates, c'est un manque de repères historiques que d'aller demander de l'argent dans la rue dans des pays où des gens vivent et travaillent dans des conditions de pauvreté difficiles à imaginer, sans filet social. « L'Occidental qui quête n'est peut-être pas riche, mais il doit se rappeler qu'il vient de sociétés qui ont colonisé l'Asie il n'y a pas si longtemps, colonialisme qui a contribué en partie à la richesse de l'Occident. Encore aujourd'hui, nos petits t-shirts, on ne les paie pas cher parce qu'il y a des gens qui ne sont pas payés cher. »

Elle recommande de récolter de l'argent chez soi avant de partir à l'aventure. « Même ici, il y a des gens qui travaillent toute leur vie et qui n'ont pas d'argent pour aller voyager. L'idée d'avoir un passeport et de pouvoir partir est un phénomène récent. »

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

À Bangkok, en Thaïlande.

PHOTO TIRÉE DE TWITTER

À Bangkok, en Thaïlande.

BEGPACKERS VIRTUELS

Des « begpackers » sont aussi actifs sur le Net, où ils essaient d'amasser des fonds par des sites de sociofinancement. En février, Rebecca G., jeune femme du New Hampshire, a provoqué une onde de choc lorsqu'elle a lancé une page sur le site Gofundme pour recueillir 10 000 $ pour voyager. « Je recueille des fonds pour payer mon aventure spirituelle autour du monde », écrit celle qui se présente comme une « coach de vie, adepte du reiki et guérisseuse au moyen de cristaux ».

Critiquée sur les réseaux sociaux, la jeune femme n'a jusqu'ici récolté que 1500 $ et a depuis promis de « faire un don de charité de 1000 $ si [elle] attein[t] 5000 $ en dons. »

Un commentateur sur sa page Gofundme ne la trouve pas drôle. « La charité est destinée à ceux qui ne peuvent pas s'aider eux-mêmes. Ce n'est pas pour les personnes privilégiées et fonctionnelles comme vous. Le travail acharné, l'indépendance et la persévérance sont des vertus : apprenez-les durant votre voyage. »

Saisie d'écran du site Gofundme

Campagne de Rebecca G. sur le site Gofundme