Mai 2006: le sénateur républicain de l'Arizona, John McCain, dépose avec son collègue démocrate du Massachusetts, Edward Kennedy, un ambitieux projet de réforme de l'immigration permettant la régularisation de millions d'immigrés clandestins. Soutenu par le président George W. Bush, le texte de loi bipartite est adopté par le Sénat mais échoue à la Chambre des représentants, où certains membres de la majorité républicaine appellent carrément au renvoi des 11 millions de sans-papiers des États-Unis.

Avril 2010: le sénateur McCain donne son appui à une loi controversée autorisant les policiers de l'Arizona à vérifier si un individu se trouve légalement sur le territoire américain sur un simple soupçon de clandestinité. Le président Barack Obama critique cette mesure qui affaiblira, à son avis, «les notions de base d'équité que nous chérissons en tant qu'Américains, ainsi que la confiance entre la police et nos communautés, si importante pour garantir notre sécurité». Un groupe de défense des immigrés emploie un langage plus évocateur pour dénoncer la loi, promulguée vendredi par la gouverneure républicaine Jan Brewer: «La saison de la chasse aux Latinos est ouverte» en Arizona.

 

Année électorale

L'évolution de la position de John McCain sur l'immigration en dit long sur la nature radioactive de cette question aux États-Unis, surtout pour un élu républicain qui fait face à l'électorat, comme c'est le cas cette année pour le sénateur sortant de l'Arizona. Il reste à savoir si le président Obama et son parti s'attaqueront cette année, comme ils l'ont promis, à ce dossier encore plus explosif que celui de la santé. Oseront-ils le faire à quelques mois des élections de mi-mandat?

C'est ce que semble croire le sénateur de Caroline-du-Sud, Lindsey Graham. Ce républicain modéré a annoncé samedi son retrait des négociations bipartites sur le climat, craignant que les démocrates ne lancent au Sénat un débat sur l'immigration au lieu de s'en tenir au climat. Le chef de la majorité démocrate à la Chambre haute, Harry Reid, l'a envoyé promener poliment, soulignant que les deux sujets étaient importants aux yeux des Américains.

«Ils s'attendent à ce que nous les traitions tous deux, et ils n'accepteront pas que les efforts sur l'un soient une excuse pour ne pas s'occuper de l'autre», a-t-il écrit dans un communiqué.

Le sénateur Graham est le seul républicain à avoir donné son appui à une approche globale pour lutter contre le réchauffement climatique, démarche dont le succès au Sénat a toujours été incertain. Dans une lettre adressée à deux de ses collègues, il a qualifié de «manoeuvre politique cynique» le projet des démocrates de remettre à l'ordre du jour le dossier de l'immigration.

Pressions des Latinos

Il ne fait pas de doute que les démocrates sont soumis à de fortes pressions de la part des Latinos, qui forment une partie importante de leur base électorale. La semaine dernière, un représentant influent de l'Illinois, Luis Gutierrez, a notamment menacé d'exhorter les électeurs latinos à ne pas se rendre aux urnes en novembre si le président et les dirigeants démocrates du Congrès ne présentaient pas sous peu un projet de réforme de l'immigration.

Avant et après son arrivée à la Maison-Blanche, Barack Obama s'est dit en faveur d'une réforme qui viserait à «sécuriser nos frontières» et à «reconnaître et régulariser le statut des sans-papiers». L'ironie veut que le sénateur Graham ait lui-même rédigé un projet de loi répondant à ces objectifs avec le sénateur démocrate de New York, Chuck Schumer.

Mais le dépôt d'un projet de loi au Sénat sur une réforme de l'immigration ne galvaniserait pas seulement l'électorat latino. Une telle décision mobiliserait également la droite américaine, et tout particulièrement les militants du mouvement Tea Party, qui ne manqueraient pas d'accuser le président Obama et ses alliés démocrates d'ignorer les lois en offrant une «amnistie» aux illégaux.

La solution préférée des sympathisants du Tea Party aux problèmes de l'immigration illégale ressemble à celle que l'Arizona vient d'adopter, s'il faut se fier aux résultats d'un sondage mené dans sept États: près de la moitié d'entre eux (45%) estiment que «tous les sans-papiers aux États-Unis devraient être déportés immédiatement».

À court terme, il se peut que le débat sur l'immigration avantage les républicains. À plus long terme, c'est une autre histoire. En adoptant une approche jugée raciste ou xénophobe par plusieurs Latinos, les élus et militants de ce parti risquent de s'aliéner encore davantage un électorat dont le poids ne cesse d'augmenter aux États-Unis.