En Israël, le parti Kadima se choisira demain un nouveau chef, après la démission d'Ehoud Olmert, affaibli par une série d'enquêtes portant sur des affaires de corruption. La favorite des primaires, Tzipi Livni, est aussi la politicienne la plus populaire du pays. Celle qui rêvait jadis d'un Grand Israël s'étendant de la Méditerranée au Jourdain croit désormais au compromis avec les Palestiniens. Pour y arriver, elle veut gouverner. Et elle n'a jamais été si près du pouvoir.

Une carte d'Israël est gravée sur la pierre tombale d'Eitan Livni, dans le cimetière Nahalat Itzhak, à Tel-Aviv. Ou plutôt, une carte du Grand Israël biblique, dont les frontières s'étendent au-delà du Jourdain. Au centre, un fusil à baïonnette et les mots «Rak Kach» («seulement ainsi» en hébreu). C'est la devise de l'Irgoun, la guérilla sioniste qui a combattu les Arabes et la présence britannique en Palestine, dans les années 30 et 40, à coups de bombes et d'attentats.

Eitan Livni était le chef des opérations de l'Irgoun. Il était aussi le père de Tzipi Livni, l'actuelle ministre israélienne des Affaires étrangères, favorite des primaires que tiendra demain le parti Kadima. Si elle l'emporte, l'étoile montante de la politique israélienne pourrait bien devenir la première femme à se hisser au pouvoir depuis Golda Meir, il y a quatre décennies.

Pour arriver jusque-là, Tzipi Livni a emprunté un long chemin. Long et sinueux. Son histoire personnelle se confond avec celle d'Israël.

Ses parents furent le premier couple juif marié dans l'État d'Israël, le 16 mai 1948, au lendemain de l'indépendance. Sa mère, Sarah, était aussi membre de l'Irgoun, prenant part à «des opérations qu'on pourrait qualifier aujourd'hui de terrorisme», dit Gil Hoffman, analyste politique au Jerusalem Post. «Tzipi Livni a été élevée à Tel-Aviv dans une famille très, très à droite.»

Une famille où les discours sur le compromis territorial avec les Palestiniens n'avaient aucune place. Comme ses parents, Tzipi Livni a longtemps cru au Grand Israël. Mais comme la majorité de ses compatriotes aujourd'hui, elle a fini par se rendre à l'évidence: Israël ne pourra être un État à la fois juif et démocratique s'il ne cède pas de territoires aux Palestiniens, dont la population est en pleine croissance.

Tzipi Livni suit ainsi la voie tracée par son mentor, Ariel Sharon, qui a quitté le Likoud (droite) pour former Kadima lors du retrait de Gaza, en 2005. Sa principale préoccupation n'est pas tant morale que démographique. «Elle est très claire par rapport au fait que pour avoir un État juif et démocratique, il faut aussi un État palestinien. Il ne peut y avoir de réfugiés en Israël», dit Menahem Ben-Sasson, député du parti Kadima.

«Je crois encore en notre droit à toute la terre, mais j'ai senti qu'il était plus important de faire un compromis, disait-elle l'an dernier au New York Times. Nous ne pouvons pas déterminer qui avait raison ou tort en 1948, ou décider qui est plus juste. Les Palestiniens peuvent sentir que la justice est de leur côté, et je peux sentir qu'elle est du mien. Nous n'avons pas à décider de l'Histoire, mais de l'avenir.»

Mme Propre

Surnommée «Mme Propre», considérée comme étant droite et honnête, Tzipi Livni apporte un vent de fraîcheur dans un pays où des allégations de corruption ont pesé sur quatre récents premiers ministres - et où les citoyens sont devenus profondément cyniques envers la classe politique. «Sa popularité a moins à voir avec elle qu'avec ses adversaires, vus comme des politiciens corrompus et arrogants», explique l'analyste Yossi Alpher.

Mariée à un publiciste, mère de deux enfants, Tzipi Livni, 50 ans, a servi pour le Mossad, l'agence israélienne de renseignement, de 1980 à 1984. Personne ne sait exactement ce qu'elle y a fait, sinon qu'elle était basée à Paris. Entrée en politique il y a neuf ans, elle a occupé six postes ministériels, dont ceux de la Justice et de l'Immigration. En tant que responsable de la diplomatie, elle mène aussi les négociations de paix avec l'Autorité palestinienne.

L'argument militaire

Cette feuille de route n'impressionne guère les opposants de «cette femme» sans expérience militaire, dans un pays durement éprouvé par la défaite de sa puissante armée contre le Hezbollah libanais, en 2006. Ehoud Barak, le soldat le plus décoré d'Israël, affirme que Mme Livni n'aurait «pas ce qu'il faut» pour gérer une crise, si le téléphone rouge la réveillait à 3h du matin.

Faux, rétorque le directeur de l'Institut d'études pour la sécurité nationale, Oded Oran. «Qu'elle n'ait jamais été haut gradée de l'armée ne la disqualifie pas d'office. Nous avons eu de bons premiers ministres qui n'ont jamais porté l'uniforme.»

Les critiques envers Tzipi Livni frôlent souvent le commentaire sexiste. Comme pour souligner sa supposée fragilité, Ehoud Barak la désigne par son prénom complet, Tzipora, qui signifie «oiseau» en hébreu. L'an dernier, un chroniqueur a écrit qu'elle n'était bonne qu'à diriger - au mieux - «l'organisation internationale des femmes sionistes».

Il ne faut probablement pas s'étonner de ces commentaires dans un pays dominé par une culture militaire machiste, où des partis ultra-orthodoxes considèrent par ailleurs qu'une femme première ministre n'est «pas assez modeste».

Reste que Tzipi Livni est la politicienne la plus populaire du pays. Et que cette popularité en dit long sur l'état d'esprit des Israéliens. «En septembre 2006, il n'y aurait eu probablement aucune chance que le public considère sérieusement la candidature d'une femme sans expérience militaire», écrivait récemment le quotidien Haaretz. «Son succès jusqu'ici suffit à montrer que malgré les sombres prévisions, la société israélienne s'est extirpée du traumatisme de la seconde guerre du Liban.»