Des millions d'Américains ont dû dire adieu à leur emploi ou à leur maison depuis le début de l'année. Barbara Harvey a perdu les deux. La résidante de Santa Barbara, en Californie, vit dans sa voiture avec ses deux chiens. Cette situation est de plus en plus courante chez nos voisins du Sud, nous dit notre correspondant dans l'Ouest américain.

Chaque soir, Barbara Harvey fait grimper ses deux golden retrievers, Phoebe et Ranger, à bord de sa Honda CR-V. Puis elle s'étend près d'eux et se prépare pour la nuit.

Le coffre n'est pas très grand: même en rabattant le dossier de la banquette, Mme Harvey n'a pas assez de place pour s'étendre. Sa tête tombe dans le vide et ses pieds touchent le hayon.

«J'arrive à dormir, mais ce n'est pas confortable, dit la mère de famille de 57 ans. Mes chiens sont gros, ils prennent beaucoup de place. C'est difficile parfois... Je ne peux même pas suspendre une robe dans l'auto.»

C'est la perte de son emploi dans l'effondrement du marché immobilier qui a jeté Mme Harvey à la rue l'hiver dernier. Aujourd'hui, elle bénéficie d'un programme mis en place par la Ville de Santa Barbara, en Californie: un réseau de stationnements désignés pour les gens qui dorment dans leur camion ou leur auto.

Chaque soir, la cinquantaine de sans-abri qui participent au programme unique aux États-Unis peuvent se garer et dormir dans l'un des 12 stationnements désignés. Les stationnements sont situés devant des églises, des centres sportifs ou des collèges. Ils sont patrouillés par la police et il y a généralement des toilettes à proximité.

Certaines règles s'appliquent: pas d'alcool, pas de party, pas de bruit le soir. Les gens qui participent au programme doivent être là pour dormir.

Et la demande grimpe à mesure que l'économie dégringole: plus d'une centaine de personnes intéressées sont inscrites sur la liste d'attente, explique Nancy Kapp, coordonnatrice du programme.

«Je reçois des appels chaque jour, certains de la part de résidants du Nevada ou de l'Oregon, dit-elle. Les gens perdent leur emploi, leur maison. Ils se retrouvent dans leur auto et se sentent comme des hors-la-loi. Ils n'ont nulle part où aller.»

«Je n'ai rien vu venir»

Barbara Harvey n'est pas habituée à dormir dans sa voiture. Il y a quelques mois encore, elle habitait un appartement de trois chambres à coucher, et deux salles de bains pourvu d'un jardin ensoleillé dont elle s'occupait quotidiennement.

En février, elle a perdu son emploi de secrétaire juridique. Le bureau de notaires pour lequel elle travaillait a piqué du nez en même temps que le marché immobilier. Son salaire de 37 000$ est parti en fumée. Du jour au lendemain, son loyer de 2100$ par mois - la norme à Santa Barbara et à bien des endroits en Californie - est devenu un fardeau impossible à supporter.

«Je n'ai pas vu venir le coup, dit-elle. Je ne croyais pas que ça pouvait m'arriver. Je crois que personne ne voit vraiment ça venir. Il faut s'adapter, voilà tout.»

Mme Harvey a eu deux jours pour plier bagage. Sa fille de 19 ans s'est installée avec des amis de l'université, et Mme Harvey est allée vivre dans sa voiture.

Les premières nuits ont été les pires, dit-elle. «Je me suis garée dans les rues que je connaissais, près de chez moi. Mais j'avais peur de me faire voir par la police, ou de devoir affronter un voleur ou un passant soûl. Les premiers jours, je n'ai pas réussi à dormir.» Elle a découvert par hasard le programme des parcs pour sans-abri et dort depuis dans celui de la Mission de Santa Barbara, réservé aux femmes.

Tensions dans le quartier

À Los Angeles, plusieurs sans-abri choisissent de dormir dans leur voiture. On en voit de plus en plus dans les rues de Venice, quartier excentrique où les marginaux sont généralement les bienvenus.

Shawn Louvett, 41 ans, s'est retrouvé à la rue quand il a perdu son emploi de vendeur chez un concessionnaire automobile, en mai. Même en travaillant, il avait de la difficulté à payer le loyer, l'essence et la nourriture, dit-il.

"Les loyers sont très chers à L.A. Je me suis endetté, et voilà. Je n'ai plus d'appartement, maintenant... Au moins, j'ai mon auto."

Les policiers avaient l'habitude de tolérer les gens qui vivent dans leur voiture, dit-il. Mais cet été, c'est différent. "Ils sont plus agressifs. Il faut être plus discret."

L'acceptation semble avoir atteint ses limites: cet été, des citoyens en colère ont demandé à la Ville d'interdire aux gens de dormir dans leur véhicule. Certains propriétaires de roulottes auraient pris l'habitude d'uriner dans les entrées de garage ou de vider leurs toilettes portables dans les caniveaux. Un nouveau règlement pour créer des places de stationnement pour sans-abri doit être étudié à l'automne.

Une «aventure»

Après six mois passés à dormir dans sa voiture, Barbara Harvey garde le moral. Tour à tour, des amies de la région de Santa Barbara lui offrent de venir prendre une douche chez elles, ou encore lui paient un souper au restaurant ou une soirée au cinéma. Mme Harvey a récemment trouvé un emploi à temps partiel et économise pour pouvoir faire un dépôt pour louer un appartement.

Sa fille, dit-elle, n'est pas à l'aise avec la situation. «Elle n'en revient pas, elle a peur pour moi. Elle ne dit à personne que sa mère est sans abri. Elle n'accepte pas ce qui se passe.»

Mme Harvey, elle, parle de sa situation comme d'une «aventure».

«J'ai passé à travers bien des étapes dans ma vie. Maintenant, c'est une étape difficile. Mais j'ai la force de caractère qu'il faut pour continuer. À travers ça, j'ai découvert des gens formidables. J'ai bon espoir de trouver un appartement et de pouvoir travailler à aider les gens qui sont moins fortunés que moi.»