Du «parmesansan» en Lituanie, du «parmazano fiorentino» étiqueté «sans produits laitiers» en Grande-Bretagne, un morceau de «parmezano» allemand vendu au Mexique: telles sont les aberrations gastronomiques après lesquelles court l'inspecteur italien Giorgio Capovani. Cet expert du «parmigiano-reggiano» fait partie d'un nombre croissant de détectives spécialisés engagés par des producteurs de spécialités italiennes protégées.

Car le fromage n'est pas seul menacé. Nul n'est à l'abri d'un jambon de pays frauduleux. Ni de basilic ou de vinaigre pas vraiment produits là où leur emballage le prétend.

L'UE octroie les sigles AOP (appellation d'origine protégée) ou IGP (indication géographique protégée) à certains produits respectant des normes de qualité élevées. En Italie, les plus connus sont la mozzarella de bufflonne, le prosciutto de Parme, le vinaigre balsamique de Modène, les tomates de San Marzano ou le gorgonzola. Le consommateur est ainsi assuré que ce qu'il achète a bien été produit dans la région indiquée par son label et n'en est pas une mauvaise imitation.

Dans le Grand Ouest de l'arnaque alimentaire, Capovani et ses collègues font en quelque sorte office de sheriffs. Juristes, ils ont prêté serment et peuvent, s'ils le souhaitent, exiger l'accès à des locaux, examiner des documents et confisquer des produits à des grossistes ou à des grandes surfaces.

«On a un réseau d'indics parmi les commerçants qui surveillent de près la concurrence», explique Capovani. «Nous pouvons même porter des armes, mais nous ne le faisons pas», plaisante l'un de ses confrères, Domenico D'Aniello.

Spécialiste du prosciutto, un jambon fumé italien, il a travaillé en étroite collaboration avec la gendarmerie l'an dernier pour remonter une filière de contrefaçon. Un millier de «faux» ont ainsi été saisis dans des hangars et supermarchés italiens. Une prise qui pourrait n'être que la partie visible de l'iceberg compte tenue de l'impossibilité d'évaluer le nombre de jambons déjà consommés par des clients abusés.

S'il est vrai que les produits protégés par l'UE sont nombreux en Europe, de la feta grecque aux pommes de terre britanniques «Jersey royal», les producteurs italiens se distinguent par leur ténacité dans la lutte contre la contrefaçon.

Les produits alimentaires de luxe représentent en effet une part non-négligeable de la production alimentaire nationale. Selon Paolo Facioni, porte-parole du lobby agricole Coldiretti, les ventes de produits AOP et IGP représentent neuf milliards d'euros, un montant qui pourrait encore augmenter si les consommateurs n'achetaient que les véritables denrées.

Le consortium des producteurs de prosciutto de Parme dépense ainsi chaque année 500.000 euros en frais juridiques pour la protection de son fameux jambon. «Ce n'est pas tellement pour les conséquences financières. C'est la répercussion sur notre réputation, notre image», explique Federico Desimoni, conseiller juridique du consortium. «Même dix (faux) prosciuttos peuvent nous faire du mal. Imaginez un millier. On pourrait perdre des consommateurs».

De fait, les procès portant sur des AOP se multiplient. En février, la Cour européenne de justice s'est ainsi prononcée pour que le label «parmesan» soit réservé au seul «parmigiano-reggiano», quand de nombreux producteurs européens affirmaient qu'il s'agissait d'un terme générique désignant un fromage à pâte dure.

L'an dernier, les producteurs de basilic du nord de Gênes ont reçu à leur tour le droit au sigle AOP. «On a débouché des bouteilles et trinqué», se souvient Guilio Malavolti, à la tête d'un groupement d'agriculteurs de la région célèbre pour son pesto, une sauce à base de basilic.

Mais déjà, l'agriculteur s'inquiète des conséquences malencontreuses de cette promotion. «Nous aimerions avoir nos propres inspecteurs. Mais il n'y a que les 'grands', comme les producteurs de prosciutto, qui peuvent se le permettre», déplore-t-il.