Les marchés financiers, qui détestent l'incertitude, ont accueilli lundi par une chute de la bourse et une dégringolade de la devise le revers du parti du président Recep Tayyip Erdogan aux législatives, même si un gouvernement de coalition pourrait les rassurer.

C'était l'un des scénarios les plus redoutés des analystes. En perdant la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans au Parlement, le Parti de la justice et du développement (AKP) a fait passer un frisson d'inquiétude chez les investisseurs.

Première victime, la bourse d'Istanbul a ouvert sur une dégringolade de 8%. Son principal indice s'est ensuite progressivement ressaisi au cours de la journée pour clôturer en séance sur un recul de 5% à 77 800 points.

La livre turque (LT) a simultanément subi le même mouvement. Après avoir établi un nouveau plus bas historique face à la monnaie américaine à 2,8 LT, elle s'échangeait en soirée à 2,76 LT pour un dollar (-3,5%) et 3,10 LT (-4%) pour un euro.

La Banque centrale a promptement réagi en baissant ses taux sur les dépôts en devises à une semaine. Ils passeront à partir de mardi de 4% à 3,5% pour le billet vert et de 2% à 1,5% pour l'euro, a indiqué l'institution monétaire. Cette décision n'a pas suffi à faire remonter significativement la monnaie turque.

L'AKP est arrivée en tête du scrutin de dimanche, mais n'a recueilli que 40,8% des suffrages, en baisse de près de 10% par rapport à son score d'il y a quatre ans (49,9%). Avec 258 sièges de députés sur 550, il ne pourra former seul un nouveau gouvernement.

Ces résultats «peu concluants (...) ont augmenté les incertitudes politiques à court terme et pourraient aggraver les tensions concernant la politique économique», a indiqué l'agence de notation Fitch's dans sa note postélectorale.

L'absence de majorité absolue a donné le coup d'envoi des spéculations sur la formation d'un éventuel gouvernement de coalition.

«Ces résultats vont donner lieu a des discussions et des négociations politiques intenses pendant des semaines», a relevé Deniz Ciçek, économiste à la Finansbank.

«Vulnérable»

Cette incertitude constitue une nouveauté pour les marchés. Arrivé au pouvoir en 2002 en pleine débâcle financière, le parti de M. Erdogan a mené des réformes qui ont ouvert une décennie de stabilité et de forte croissance pour l'économie turque.

Depuis 2012 toutefois, la page de ce «grand bond en avant» turc est révolue. La croissance a chuté (2,9% en 2014), l'inflation et les déficits publics restent élevés et le chômage a retrouvé son plus fort niveau depuis cinq ans.

Pour toutes ces raisons, «la Turquie est peut-être le plus vulnérable de tous les pays émergents à l'heure actuelle», a résumé lundi William Jackson, de Capital Economics.

Dans ce contexte très politisé, un gouvernement de coalition pourrait toutefois rassurer les analystes qui redoutaient qu'une large victoire du camp du président Erdogan encourage ses tentations «populistes» en matière d'économie.

Les marchés se sont récemment inquiétés des pressions à répétition exercées par M. Erdogan sur la Banque centrale, en principe indépendante, pour qu'elle réduise massivement ses taux d'intérêt afin de protéger la croissance. Une perspective rejetée par les investisseurs, inquiets du niveau de l'inflation.

«Une coalition qui marche permettrait de réduire les risques à moyen terme que faisait peser la perspective d'un renforcement des pouvoirs du président», a jugé Michael Harris, analyste à Renaissance Capital, «il n'y a aucune raison de s'inquiéter d'une coalition».

«Nous pensons que l'application du dernier plan présenté par le gouvernement (...) dépend d'abord des nominations qui seront faites à certains postes-clés, que l'AKP décide de former une coalition ou de gouverner seul», a jugé lundi Standard and Poor's, qui a maintenu sa note à BB+ perspective négative.

De l'avis unanime des analystes lundi, la monnaie et la bourse turques devraient rester fragiles jusqu'à la formation du futur gouvernement.