Il y a trois semaines, une enquête de La Presse a soulevé de sérieux doutes sur les allégations de Grant Mathiesen, qui accuse deux frères québécois de l'avoir violé dans une école du Japon. Or, nous avons appris que ce fraudeur australien avait aussi prétendu avoir été agressé non pas dans une, mais dans deux autres écoles.

Le fraudeur et meurtrier australien Grant Mathiesen a prétendu avoir été agressé sexuellement dans les trois écoles qu'il avait fréquentées successivement de 1965 à 1973.

Début juin, La Presse a raconté l'histoire rocambolesque de Mathiesen, qui affirme avoir été violé par deux frères québécois dans une école du Japon, mais aussi par un surveillant de dortoir d'une école d'Australie.

Ce n'était pas tout. Il appert que Mathiesen a approché un troisième établissement scolaire. En 2015, il a prétendu faire partie des victimes de Kevin Lynch, prédateur sexuel qui a sévi dans son ancienne école secondaire, la Brisbane Grammar School (BGS).

Or, Mathiesen ne fréquentait plus la BGS à l'époque où Lynch, conseiller scolaire, y a commis ses crimes.

Une tentative d'extorsion?

En 2014, Mathiesen a réclamé 64 millions de dollars aux Frères de l'instruction chrétienne pour un viol dont il dit avoir été victime, en 1965, aux mains de deux frères québécois à l'école internationale St. Mary de Tokyo.

La congrégation religieuse, dont la maison mère est située à La Prairie, estime avoir été la cible d'une fraude élaborée. Elle a récemment entrepris des démarches pour déposer une plainte officielle à la police australienne.

Mathiesen prétend également avoir été agressé en 1967 par Harry Wippell, ancien surveillant de dortoir à Churchie, une école anglicane de Brisbane. Dans ce cas comme dans celui de l'école St. Mary de Tokyo, Mathiesen a obtenu des dizaines de milliers de dollars en compensation.

Selon nos informations, Mathiesen a contacté la BGS en affirmant être l'une des victimes de Lynch. « Il a prétendu avoir été victime d'agression à la BGS en 1973 après avoir quitté Churchie, mais les dates n'avaient pas de sens car Lynch n'a pas commencé son travail de conseiller scolaire avant 1976 », a écrit le président du conseil d'administration de la BGS, Howard Stack, dans un courriel confidentiel que La Presse a obtenu.

La BGS aurait répondu à Mathiesen avec prudence, en mentionnant l'année où Lynch avait commencé à faire des victimes au sein de l'école ; elle n'a plus entendu parler de lui par la suite.

« Il a critiqué notre réponse générale au cas de Lynch, mais n'a jamais porté plainte. [...] Nous aurions remis en question la véracité [des allégations] s'il l'avait fait », écrit Howard Stack, dans un courriel daté du 14 décembre 2016 adressé à un ancien élève de Churchie

En entrevue téléphonique avec La Presse, Grant Mathiesen, aujourd'hui âgé de 62 ans, a nié avoir contacté la BGS.

Me Stack admet pour sa part avoir écrit le courriel, mais refuse de se prononcer sur les intentions de Mathiesen. « La BGS n'a jamais remis en question les histoires horribles que les victimes de Lynch nous ont racontées. Toute suggestion, directe ou indirecte, de fraude ou de malhonnêteté par les victimes de Lynch serait non seulement fausse, mais augmenterait considérablement le préjudice que ces victimes ont déjà eu à endurer », nous a-t-il écrit.

Commission d'enquête

Le scandale impliquant Kevin Lynch a été douloureux pour les administrateurs de la BGS. En février, une Commission royale d'enquête sur les agressions sexuelles d'enfants en Australie a sévèrement blâmé l'école pour avoir « failli à son devoir d'agir » afin de protéger les victimes du pédophile. À l'époque, les enfants qui se plaignaient étaient traités de menteurs.

Avant de rédiger son rapport, la Commission royale a entendu de nombreux témoins en 2015, l'année où Mathiesen a contacté la BGS. L'affaire avait fait grand bruit. 

Me Stack lui-même avait éclaté en sanglots en plein témoignage, admettant que la BGS avait trahi les garçons sous sa garde et jugeant qu'il s'agissait d'un « chapitre noir » dans l'histoire de l'école.

Pendant des années, Kevin Lynch a agressé des enfants à la chaîne dans son bureau fermé - et isolé par des murs antibruit - de conseiller scolaire. Il a poussé l'infamie jusqu'à agresser un enfant venu le consulter après le suicide de son père.

Lynch s'est lui-même donné la mort après avoir été dénoncé par un élève qui avait secrètement enregistré sa confession.

Un meurtrier

En 1980, Grant Mathiesen a attiré une femme philippine en Australie sous de faux prétextes, puis l'a assassinée dans le seul but de toucher le produit de ses polices d'assurance vie. Condamné à la prison à perpétuité, il a été libéré sous conditions en 1996. Le détective qui a résolu l'affaire se rappelle avoir eu affaire à un fraudeur endurci d'une « terrible cruauté ».

Les allégations de viol portées par Mathiesen ont bouleversé la vie des deux religieux québécois. L'un d'eux, Guy Lambert, a dû rentrer d'urgence au Québec après une vie consacrée à l'enseignement au Japon.

Les Frères de l'instruction chrétienne ont entrepris des démarches afin de déposer une plainte pour « harcèlement criminel à l'aide d'un ordinateur » contre Mathiesen à la police de Brisbane. Mathiesen nie toute tentative de fraude, qualifiant les prétentions de la congrégation québécoise de « répugnantes ».