«Bye, fais attention à toi», a lancé Clémence Beaulieu-Patry à Randy Tshilumba une semaine avant qu'il ne la poignarde violemment au supermarché Maxi. Cette banale phrase, l'accusé l'a interprétée comme un grave avertissement de la part d'une femme «dangereuse». «Ça m'a fait encore plus paniqué qu'elle me dise: "fais attention à toi". Pourquoi je devrais faire attention à moi? Elle veut me tuer», a témoigné vendredi Randy Tshilumba.

Son couteau de chasse dans les poches, «comme en tout temps», Randy Tshilumba s'est rendu à trois reprises au Maxi du quartier Saint-Michel pour faire la «paix» avec Clémence Beaulieu-Patry, une employée de 20 ans du supermarché. Sa priorité absolue: convaincre Clémence et ses quatre meilleures amies de ne pas le tuer.  «Il faut que je trouve une manière de survivre. Il faut peut-être que j'aille leur parler», se disait-il, terrifié.

Au début du mois d'avril 2016, quelques jours avant le meurtre de Clémence Beaulieu-Patry, Randy Tshilumba a croisé par hasard une des cinq amies qui menaçait selon lui de le tuer depuis des mois. Myriam Ben Said travaillait dans un magasin de chaussures des Galeries d'Anjou. Même s'il était terrifié, Randy Tshilumba a décidé de parler à la jeune femme. «Si je ne parle pas à Myriam, je vais être mort bientôt, alors je dois vraiment la convaincre de ne pas me tuer. C'est vraiment urgent», assure-t-il.

«Vraiment nerveux», il parle quelques minutes avec la jeune femme et lui pose des questions sur des modèles de souliers. Mais sans son portefeuille, il ne peut pas acheter de chaussures. Un oubli aux lourdes conséquences, selon lui. «Ça l'a fâchée. Elle était encore plus déterminée de me tuer. J'ai compris que ma tentative de la convaincre de pas me tuer a échoué», dit-il. Au tout début du procès, Myriam Ben Said avait témoigné pour la Couronne. Elle avait raconté que Randy Tshilumba «suait vraiment beaucoup» et semblait extrêmement nerveux au cours de leur conversation. Elle ne l'avait pas vu depuis plusieurs années.

C'est à la suite de cette rencontre avec Myriam que Randy Tshilumba décide de s'entretenir avec Clémence Beaulieu-Patry, une autre ex-camarade de classe du secondaire. Selon lui, le supermarché Maxi était «beaucoup plus sécuritaire» que le petit commerce de souliers où travaillait Myriam. « Il y a plus de clients au Maxi. Donc, si Clémence m'attaque, il y a plus de monde qui peut intervenir, plus de monde peut arrêter l'altercation. Le Maxi est beaucoup plus sécuritaire. C'est pour ça que je suis allé voir Clémence, et non Myriam», dit-il.

La veille du meurtre, le 9 avril 2016, Randy Tshilumba retourne au Maxi pour la troisième fois en une semaine. Il ne voit pas Clémence. Mais constipé, il se terre aux toilettes du supermarché pendant 45 minutes. Il est alors désespéré et songe même au suicide. «Ma vie est tout croche, je n'arrivais pas à aller aux toilettes, je n'arrivais pas à parler, parce que je bégaye toujours, je n'arrivais pas à l'école. Ma vie était rendue presque finie, je ne savais plus quoi faire. Peut-être, il faut que je me suicide», raconte-t-il. 

Depuis l'automne 2014, Randy Tshilumba était persuadé que Clémence Beaulieu-Patry et ses quatre meilleures amies cherchaient activement à le tuer. À l'hiver 2016, il s'est rendu au Congo pour aller visiter son père et sa soeur. «Je me suis aperçu que Clémence et ses amies m'avaient suivi là-bas. Je ne les ai jamais vues, mais je savais qu'elles étaient là. Je ne sortais pas pour ne pas que les filles me tuent», maintient-il, en bégayant légèrement, mais toujours d'un ton neutre, voire robotique.

À son retour au pays, en janvier 2016, trois mois avant le meurtre, Randy Tshilumba n'assiste pratiquement plus à ses cours au Cégep André-Laurendeau. Mais quand il y va, il a toujours son couteau dans les poches ou dans son sac. Au cours de cette période, il prend «un peu d'alcool» tous les matins et scrute les messages anonymes soi-disant envoyées par les cinq femmes sur une page Facebook. « C'était insupportable. C'était invivable», répète-t-il.

Environ un an et demi avant de tuer Clémence Beaulieu-Patry, Randy Tshilumba avait «supplié» sa mère de déménager «au plus vite», parce qu'il croyait fermement que des gens voulaient le tuer.

La mère de Randy Tshilumba s'inquiétait énormément de son changement de comportement et lui posait beaucoup de questions sur son isolement et sa perte de poids, a expliqué l'accusé à la barre des témoins. «Je lui ai dit qu'on devait déménager au plus vite, parce que des gens qui voulaient me tuer savent où on habite. Je l'ai supplié», a-t-il dit. «J'ai vraiment insisté. C'était une question de vie ou de mort», a-t-il ajouté. Il était toutefois impossible de déménager selon sa mère, avec qui il habitait seul à Montréal.

Randy Tshilumba a pensé au suicide il y a quelques années, alors qu'il était en secondaire 3, en raison de son sévère bégaiement. « J'avais beaucoup de difficulté à m'exprimer. Ça m'a causé beaucoup de tristesse», a raconté l'accusé. «J'aurais aimé être comme tout le monde et de pouvoir parler. Ça m'a beaucoup beaucoup déprimé. Ça m'a fait penser au suicide de ne pas être capable de parler», a-t-il dit d'une voix neutre, en bégayant légèrement. Depuis le début de son témoignage, l'accusé n'a pas de difficulté à se faire comprendre du jury. 

Jeudi, Randy Tshilumba a raconté avoir poignardé Clémence Beaulieu-Patry pour «protéger» des clients du Maxi et pour se défendre. Il a affirmé s'être rendu au supermarché pour faire la «paix» avec la femme de 20 ans, mais qu'il a cru qu'elle allait sortir un «gun de sa poche». Depuis plus d'un an, il était persuadé que Clémence Beaulieu-Patry et ses quatre meilleures amies voulaient le tuer. Randy Tshilumba ne côtoyait pas ces cinq femmes, lorsqu'ils étaient à la même école secondaire. Depuis la fin de leur secondaire, il n'avait revu la victime qu'à une reprise, en novembre 2015, au Maxi du quartier Saint-Michel.

La défense entend démontrer dans les prochains jours que Randy Tshilumba avait une «maladie mentale» bien avant qu'il ne tue Clémence Beaulieu-Patry, le soir du 10 avril 2016. «Je vous rappelle qu'il souffre d'un délire. Il va expliquer sa réalité à l'intérieur de son délire. Il va vous expliquer pourquoi il ne considère pas avoir fait une mauvaise chose», a expliqué Me Philippe Larochelle dans son exposé introductif pour mettre en contexte le témoignage de l'accusé.