Un nouveau livre décrypte la fausse rumeur la plus folle de France : la première dame, Brigitte Macron, serait en réalité un homme…

Nom : Brigitte Macron, née Trogneux (à moins que ce ne soit Jean-Michel ?)

Âge : 70 ans

Fonction : Première dame de France (enfin, cela se discute…)

Mots-clés : Complotisme, transidentité, mensonge, enquête

Pourquoi on en parle

Depuis deux ans, la première dame de France est la cible des rumeurs les plus délirantes. On avance que l’épouse du président Emmanuel Macron, Brigitte Macron, née Trogneux, serait en réalité un homme ; que son nom véritable serait Jean-Michel ; et qu’elle serait le père et non la mère de ses enfants… Cette thèse est née confidentiellement fin 2021 sur la chaîne YouTube d’une médium, avant d’exploser sur les réseaux sociaux et d’être relayée des milliers de fois, au point d’être reprise par les médias internationaux et de forcer la principale intéressée à s’exprimer publiquement… puis à porter plainte. Si on en parle, c’est 1) parce que le président de la République s’est exprimé pour la première fois sur cette affaire récemment, avec ces mots : « on a quand même des fadas ». Et 2) parce qu’une journaliste très sérieuse du magazine L’Obs vient de publier un livre-enquête au sujet de cette « infox » spectaculaire : L’affaire Madame.

Pourquoi s’y intéresser

Des histoires comme celle-ci, il y en a des milliers qui circulent sur l’internet. Mais Emmanuelle Anizon, autrice de L’affaire Madame, trouvait que cette fake news était « assez exceptionnelle » pour mériter une petite enquête. La journaliste s’est donc intéressée à la personne à l’origine de ce délire – une certaine Natacha Rey, 53 ans –, à ses démarches pour faire « éclater la vérité » et aux multiples courroies de transmission qui ont permis à cette rumeur d’essaimer. Cette immersion en pays « complotiste » lui a permis de comprendre comment des gens en apparence sensés peuvent en arriver à développer jusqu’à l’obsession des thèses aussi saugrenues. Une démarche « à hauteur humaine, le plus possible dénuée d’a priori », explique la journaliste. « Il y en a qui disent : il ne faut pas donner la parole à ces gens. Mais moi, journalistiquement, ne pas parler de quelque chose qui est aussi important, ça me posait problème. »

PHOTO JULIEN DE ROSA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Brigitte Macron

De « défiants »…

On dit « complotiste », mais c’est un mot que la journaliste n’aime pas utiliser. Elle lui préfère de loin le terme « défiant », qu’elle trouve « moins jugeant, moins surplombant ». Défiance de qui ? Défiance de quoi ? Des élites, des institutions, des politiques incompétents, des journalistes qui gobent tout ce qu’on leur dit, des inégalités, du manque d’équité, des scandales financiers, sexuels, avec parfois un petit grain de paranoïa, exacerbé par une pandémie et les infinies possibilités des recherches sur l’internet. À force de parcourir ces réseaux parallèles, la journaliste a surtout constaté l’étonnante diversité de ces gens, qui sont loin de se résumer à la caricature de « l’électeur d’extrême droite débile » dessinée par certains. L’affaire Brigitte Macron a certes été récupérée par la « fachosphère » en France, mais pas seulement. « Les défiants, ça englobe beaucoup de gens », insiste Mme Anizon.

… à « Brigittologues »

La thèse de Natacha Rey a favorisé la naissance d’un groupe particulier de défiants : les « Brigittologues ». Ne riez pas, c’est sérieux. Quand ils ont appris la quête de vérité de Mme Rey, des gens de partout en France lui ont proposé de l’aider dans ses recherches de documents d’archives, d’extraits de naissance, d’actes de décès, de visites dans les cimetières à Amiens, Arras et surtout Le Touquet, d’où est originaire Brigitte Macron. Ces individus, qualifiés de « Brigittologues », ont passé des mois sur cette histoire. La thèse d’origine a évolué, des chapelles se sont formées, de nouvelles théories sont nées et se sont entrechoquées, causant à l’intérieur du groupe scissions et déchirements, « comme chez tous les experts », note Mme Anizon, évoquant même des « haines féroces » entre différentes factions. Du délire.

Mieux vaut être transparent

À la défense des « Brigittologues », l’opacité entourant le passé de Brigitte Macron ne pouvait que nourrir les suspicions. On ne sait pratiquement rien, en effet, de la jeunesse de cette ancienne professeure de théâtre, qui a eu trois enfants avec un autre homme avant de tomber pour l’un de ses jeunes étudiants, mineur au moment de leur rencontre : Emmanuel Macron. Les traumatismes liés à cette histoire intime peu banale expliquent sans doute le silence total de la famille Trogneux, voire l’effacement du premier mari de Mme Macron, que les « défiants » ont perçus comme des mensonges organisés par l’État profond. « Contrairement à Michelle Obama qui a subi les mêmes rumeurs et a fait clairement le choix de la transparence, de faire parler sa famille, de montrer ses albums de famille, Brigitte Trogneux a vraiment verrouillé son passé », suggère Mme Anizon. Cette « non-transparence » a selon elle contribué à « alimenter les théories les plus folles ».

Elite gender inversion

Michelle Obama ? Eh bien oui. Pour celles et ceux qui ne le sauraient pas, l’ancienne première dame des États-Unis a aussi eu droit aux mêmes rumeurs, son physique d’athlète faisant forcément foi de tout. Et elle n’est pas la seule. L’épouse du premier ministre espagnol Pedro Sánchez, Begoña Gómez, de même que l’ancienne première ministre néo-zélandaise Jacinda Arden ont également été victimes de la même infox. Cette théorie conspirationniste, nommée en anglais « elite gender inversion », affirme que la plupart des puissants ont changé de sexe, parce que c’est « un prérequis pour devenir riche et célèbre », selon le site DesignDoc. « C’est l’idée que les élites, puisqu’elles sont dévoyées, sont aussi dévoyées sexuellement, ajoute Mme Anizon. Sans employer de mot en phobie, il y a l’idée de la peur d’une perte des valeurs et des repères dans une mondialisation effrayante. »

Le buzz épuisé ?

Mensonge ? Postvérité ? Fake news ? Peu importe le nom qu’on leur donne, certaines infox sont plus tenaces que d’autres. En France, les rumeurs entourant Brigitte Macron ne se sont toujours pas calmées, alors que deux procès sont prévus en 2025. « Cette histoire n’a jamais disparu, elle reflambe régulièrement », conclut Mme Anizon. La rumeur vient par ailleurs de refaire surface aux États-Unis, gracieuseté de la blogueuse américaine Candace Owens, dont la vidéo a été vue plus d’un million de fois sur YouTube. On n’arrête pas le progrès…