(Munich et Kyiv) Le président ukrainien Volodymyr Zelensky a lancé samedi un appel pressant à ses alliés occidentaux pour qu’ils livrent plus d’équipements militaires au pays, en insistant sur les armes de longue portée, après l’une des victoires russes les plus significatives dans l’est de l’Ukraine.

Si le dirigeant a été sonné par le retrait forcé de l’armée, annoncé dans la nuit, de la ville ukrainienne d’Avdiïvka, il n’en a rien laissé paraître lors de son intervention samedi à Conférence de Munich sur la sécurité, en Allemagne.

Mais son message est clair : « nos actions ne sont limitées que par la quantité et la portée de l’éventail de nos forces-ce qui ne dépend pas de nous », a-t-il lancé aux responsables réunis pour cette grand-messe de la diplomatie mondiale, alors que l’Ukraine va entrer dans sa troisième année de guerre.

« Nous pouvons récupérer nos terres. Et Poutine peut perdre. Cela s’est déjà produit plus d’une fois sur le champ de bataille », a-t-il fait valoir.

Il a déploré que l’Ukraine soit « maintenue dans un déficit artificiel d’armes, en particulier d’artillerie et de capacités à longue portée ». Ce manque « permet à Poutine de s’adapter à l’intensité actuelle de la guerre ».

Kyiv réclame depuis des mois à ses alliés des armes de longue portée capables de toucher plus en profondeur les troupes russes.

Une problématique que le chancelier allemand Olaf Scholz a soigneusement éludée samedi. « Pas à pas, nous décidons toujours de la bonne chose à faire au bon moment », a-t-il répondu, signifiant que la livraison de ces armes n’était pas à l’ordre du jour.

Volodymyr Zelensky a indiqué samedi avoir évoqué au téléphone avec Joe Biden la situation sur le front et dit croire avec le président américain en une « sage décision » du Congrès américain.

« Je suis heureux de pouvoir compter sur le plein soutien du président américain. Nous croyons également en la sage décision du Congrès américain », a écrit M. Zelensky sur la messagerie Telegram.

Retrouvailles Harris-Zelensky

Kyiv souhaite que Berlin l’équipe avec des Taurus, l’un des missiles les plus modernes et les plus efficaces de l’armée de l’air allemande.

Le gouvernement allemand y rechigne, de crainte que le territoire russe soit également touché par ces armes de précision, entraînant potentiellement une escalade du conflit.

Olaf Scholz a rappelé que l’Allemagne — deuxième contributeur en valeur absolue après les États-Unis — était un soutien clé de la défense de l’Ukraine et venait encore de le prouver en signant, vendredi, un accord de sécurité bilatéral ancrant dans la durée l’aide à l’Ukraine.

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Le président ukrainien Volodymyr Zelensky et le chancellier allemand OIaf Scholz vendredi à Berlin

Volodymyr Zelensky a signé un document similaire avec la France, lors d’un déplacement à Paris, où Emmanuel Macron a également promis à Kyiv « jusqu’à trois milliards d’euros » d’aide militaire « supplémentaire » cette année.

L’Allemagne a prévu sept milliards de soutien à l’Ukraine pour 2024 dont un nouveau paquet de livraisons d’armes pour un montant de 1,1 milliard d’euros détaillé vendredi.

Mais la situation est toujours bloquée aux États-Unis : Kyiv espère depuis des mois le vote d’une aide cruciale de quelque 60 milliards de dollars décidée par le gouvernement de Joe Biden et entravée par une opposition républicaine sous influence de Donald Trump.

L’« inaction » du Congrès américain

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Le président américain Joe Biden

Confrontée à un manque de moyens croissant en raison notamment du blocage de l’aide militaire américaine, l’Ukraine pouvait difficilement éviter ce retrait face à la Russie qui poussait ses troupes, plus nombreuses et disposant de plus de munitions, à obtenir un succès sur le champ de bataille à quelques jours du deuxième anniversaire du début de l’invasion, le 24 février.

Dans une conversation téléphonique samedi avec son homologue ukrainien, le président américain Joe Biden a à cet égard critiqué l’« inaction du Congrès » américain, tout en réitérant auprès de M. Zelensky « l’engagement des États-Unis à continuer de soutenir l’Ukraine », selon un communiqué diffusé à Washington.

« Ce matin, l’armée ukrainienne a été contrainte de se retirer d’Avdiïvka après que les soldats ukrainiens ont dû rationner leurs munitions en raison de la diminution des approvisionnements, un résultat de l’inaction du Congrès, ce qui a donné lieu aux premiers gains (territoriaux) notables de la Russie depuis des mois », a déploré le président américain.

« C’est le coût de l’inaction du Congrès », a renchéri la porte-parole du Conseil de sécurité nationale, Adrienne Watson, qui a appelé les parlementaires à adopter sans délai cette assistance.

L’Ukraine espère depuis des mois le vote d’une aide cruciale de 60 milliards de dollars voulue par le gouvernement du démocrate Joe Biden, en campagne pour un deuxième mandat, mais entravée au Congrès par l’opposition républicaine, sous influence de Donald Trump.

Joe Biden a ajouté samedi soir avoir dit à son homologue ukrainien sa « confiance » dans la poursuite de l’aide militaire américaine à Kyiv. « J’ai parlé à Zelensky cet après-midi pour qu’il sache que j’étais confiant dans le fait que nous allons avoir cet argent », a déclaré M. Biden à des journalistes.

« Je suis heureux de pouvoir compter sur le plein soutien du président américain. Nous croyons également en la sage décision du Congrès américain », a commenté dans la soirée le chef de l’État ukrainien sur Telegram.

« Jeux politiques »

Sur l’aide à l’Ukraine, « il existe un soutien bipartisan. […] nous sommes inébranlables. Et cela n’a rien à voir avec un cycle électoral », a affirmé Mme Harris qui a mis en garde contre « les jeux politiques » en pleine campagne pour l’élection présidentielle de novembre aux États-Unis.

Le président ukrainien a qualifié de « vitale » l’aide américaine en suspens.

Sa tournée européenne a été assombrie par l’annonce de la mort en prison d’Alexeï Navalny, l’opposant numéro un à Vladimir Poutine, éteignant un peu plus tout espoir d’ouverture à Moscou.

Si l’Ukraine est de nouveau au cœur des débats à la Conférence de Munich, le conflit meurtrier entre Israël et le Hamas, la catastrophe humanitaire dans la bande de Gaza et la menace d’escalade au Moyen-Orient, occupent aussi les participants.

Des négociations complexes sont en cours en vue d’une trêve incluant de nouvelles libérations d’otages du Hamas et de Palestiniens détenus par Israël.

Le premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar Mohammed ben Abdelrahmane Al-Thani, dont le pays est l’un des principaux médiateurs dans les négociations en vue de la libération des otages, doit s’exprimer samedi.

L’armée s’est retirée d’Avdiïvka pour « sauver des vies »

L’armée ukrainienne s’est retirée de la ville d’Avdiïvka, dans l’est du pays, pour épargner ses soldats, concédant à la Russie sa plus grande victoire symbolique après l’échec de la contre-offensive lancée par Kyiv l’été dernier.

Cette décision a été prise après des mois d’intenses combats et d’intensification d’attaques des forces russes pour conquérir cette ville depuis octobre dernier, causant de nombreuses pertes et destructions.

La Russie a affirmé samedi avoir pris le « contrôle total » de la ville, une « importante victoire » saluée par Vladimir Poutine.

Selon le ministère russe de la Défense, le ministre Sergueï Choïgou a informé samedi au Kremlin le président Vladimir Poutine de la capture de cette ville qui était « un puissant nœud défensif des forces armées ukrainiennes ».

« Le président a félicité nos militaires et nos combattants pour cette importante victoire », a indiqué le porte-parole du président Dmitri Peskov, cité par les agences de presse russes.

Selon M. Choïgou, les forces russes se sont emparées de 31,75 km2 à Avdiïvka, ville en grande partie détruite, mais où les défenseurs ukrainiens avaient creusé d’importantes défenses.

Si Kyiv a annoncé avoir retiré ses troupes de la ville, seules « quelques formations éparses » sont parvenues à le faire, « sous le feu continu des troupes russes » et en « abandonnant armes et équipements militaires », a affirmé le ministre russe.

Selon lui, les troupes russes s’occupent désormais de « nettoyer définitivement la ville » des soldats ukrainiens et de « bloquer » des unités ukrainiennes ayant pris refuge dans une usine d’Avdiïvka.

M. Choïgou a aussi indiqué que la prise d’Avdiïvka permet « d’éloigner » l’artillerie ukrainienne de Donetsk, bastion des forces prorusses dans l’est de l’Ukraine depuis 2014, régulièrement bombardée.

L’abandon d’Avdiïvka par l’armée ukrainienne a été prise après des mois d’intenses combats et face à une pénurie d’hommes et de munitions, et malgré une tentative d’envoyer des renforts à la garnison de la cité.

Selon l’armée ukrainienne, plusieurs de ses soldats ont été capturés par les forces russes lors du retrait de la ville.

ILLUSTRATION SYLVIE HUSSON, AGENCE FRANCE-PRESSE

Carte de la ligne de front autour de la ville d’Avdiïvka, en Ukraine

Face à une pénurie de munitions et en infériorité numérique sur le champ de bataille, les forces ukrainiennes avaient annoncé leur retrait dans la nuit de vendredi à samedi.

Le retrait d’Avdiïvka était une « décision juste » pour « sauver le plus de vies possible », a déclaré samedi le président ukrainien Volodymyr Zelensky à la tribune de la Conférence de Munich sur la sécurité.

« Afin d’éviter d’être encerclés, il a été décidé de se retirer sur d’autres lignes. Cela ne signifie pas que les gens ont reculé de quelques kilomètres et que la Russie a capturé quelque chose, elle n’a rien capturé », a-t-il également déclaré.

« Dans la situation où l’ennemi avance en marchant sur les cadavres de ses propres soldats et à dix fois plus d’obus […] c’est la seule bonne décision », a déclaré le général ukrainien Oleksandre Tarnavsky, qui commande cette zone, dans un message publié sur le réseau social Telegram la nuit de vendredi à samedi.

PHOTO PRÉSIDENCE UKRAINIENNE VIA AGENCE FRANCE-PRESSE

Le nouveau commandant en chef des armées ukrainiennes Oleksandre Syrsky

Les forces ukrainiennes ont ainsi évité l’encerclement, près de cette cité industrielle largement détruite, a-t-il assuré.

Il s’agit d’une première grande décision du nouveau commandant en chef des armées ukrainiennes Oleksandre Syrsky depuis sa nomination à ce poste le 8 février. Il l’a justifiée par la volonté de « préserver » la vie de ses soldats.