Ouvertement opposé à la poursuite de la guerre en Ukraine, Boris Nadejdine, vétéran effacé de la politique russe, souhaite défier Vladimir Poutine lors de la présidentielle de mars, pour en finir avec la dérive autoritaire de l’homme fort du Kremlin.

Pourquoi on en parle 

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Boris Nadejdine apportant les 100 000 signatures lui permettant de briguer la présidence russe au siège de la Commission électorale centrale, à Moscou, le 31 janvier

Boris Nadejdine est parvenu à réunir les 100 000 signatures nécessaires pour être candidat à la prochaine élection présidentielle en Russie, dont le premier tour est prévu du 15 au 17 mars prochains. Sous la bannière du parti Initiative civique, il s’opposera à un certain Vladimir Poutine, qui a toutes les chances de remporter un cinquième mandat, celui-là de six ans.

Pourquoi c’est étonnant 

Parce que Boris Nadejdine critique ouvertement la guerre en Ukraine. C’est l’argument principal de sa candidature et le discours qu’il tient publiquement. Il n’hésite pas à dire que l’invasion était une « erreur » qui a « traîné la Russie sur la piste de l’autoritarisme et de l’isolement ». Cette prise de position paraît courageuse. Au cours des dernières années, plusieurs figures de l’opposition ont été arrêtées ou assassinées, alors que le mouvement antiguerre est globalement réprimé. « Je ne sais pas exactement pourquoi je ne suis pas arrêté », a-t-il d’ailleurs confié à CNN.

Pourquoi on le tolère

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Le président Vladimir Poutine sourit lors d’un rassemblement avec les militants de sa campagne électorale, à Moscou, le 31 janvier.

Parce qu’il est utile au régime. Avec Nadejdine dans la course, Poutine assure une façade démocratique, une apparence de liberté d’expression. Permettre sa candidature, c’est donner l’image d’un système pluraliste où toutes les voix sont représentées. « Ils ont choisi une personne pour parler au nom des libéraux, lance Maria Popova, professeure de sciences politiques de l’Université McGill. Ils savent qu’il n’est pas populaire. Ils savent qu’il ne peut pas se bâtir une base. Il est là pour laisser sortir la vapeur. » Ce n’est pas la première fois qu’un candidat « soupape » est invité dans le ring électoral. Sa défaite – assurée – sera à la mesure de la victoire de Poutine. Un mauvais score de Nadejdine décrédibilisera le mouvement antiguerre.

Antiguerre ?

PHOTO MINISTÈRE RUSSE DE LA DÉFENSE, FOURNIE PAR ASSOCIATED PRESS

Soldats russes chargeant un missile Iskander sur un véhicule de lancement, le 2 février

Il faut relativiser, tempère Maria Popova. « Nadejdine n’est pas antiguerre dans le sens où les gens en Occident pensent antiguerre. Il dit surtout que ce conflit est trop coûteux et qu’il faudrait se contenter des territoires conquis et s’arrêter là. » Selon le Kyiv Independent, Nadejdine se présente en outre comme un « patriote russe » et assure que la majorité des habitants de la Crimée souhaitent se joindre à la Russie. Bref, un peu ambigu.

Sorti de nulle part

Boris Nadejdine est inconnu du grand public occidental. C’est pourtant un pro de la politique russe. Il a été proche de Boris Nemtsov, à la fin des années 1990, qui fut vice-premier ministre avant de se retourner contre Poutine et d’être assassiné en 2015. Député de l’opposition à la Douma entre 1999 et 2003, il a aussi participé en 2015 aux primaires de Russie unie… le parti de Poutine. Depuis quelques années, on le voit régulièrement dans les émissions de propagande politique à la télévision d’État, où il sert de punching-ball progressiste aux défenseurs du régime.

Un risque, malgré tout

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Des centaines de milliers de Biélorusses sont descendus dans la rue pour protester contre la réélection d’Alexandre Loukachenko, à Minsk, en octobre 2020.

La victoire de Poutine est forcément courue. « Le régime est confiant dans le fait que sa position est majoritaire en Russie. C’est pourquoi c’est correct d’avoir un candidat qui parle pour une minorité », estime Maria Popova. Il y a peut-être une part de risque, malgré tout. L’Histoire a montré que des élections en contexte autoritaire peuvent accentuer le mécontentement populaire. Qu’on pense à la Biélorussie en 2020-2021, où des manifestations monstres avaient suivi la victoire de Loukachenko. Qui sait ? La candidature de Nadejdine irriguera peut-être le courant d’opposition. C’est ce risque que les autorités russes doivent calculer.

La suite

Rien ne dit, de fait, que la candidature de Nadejdine sera validée par la Commission électorale centrale. Cet organisme gouvernemental a une dizaine de jours pour analyser son dossier. Si des « irrégularités » sont trouvées parmi les quelque 105 000 signatures recueillies, Nadejdine peut être disqualifié. En décembre, une autre candidate antiguerre, Ekaterina Dountsova, avait été écartée de la course sous des allégations « d’erreurs » dans sa candidature. Une victoire en mars donnerait le pouvoir à Poutine jusqu’en 2030.

Avec la BBC, CNN, France 24, The Kyiv Independent et Politico

PHOTO YULIA MOROZOVA, ARCHIVES REUTERS

Boris Nadejdine

Nom : Boris Nadejdine

Âge : 60 ans

Fonction : ex-député, candidat possible à l’élection présidentielle en Russie

Mots clés : opposition, ambiguïté, risque