(Rozhen) Aux couleurs de la Bulgarie, le drapeau surplombe le massif des Rhodopes du haut d’un mât de 111 mètres - un record dans l’UE. Symbole de fierté nationale pour ses promoteurs, il ne fait pas l’unanimité dans ce pays pauvre.

« Il ne rendra pas les Bulgares plus riches mais il élèvera leurs esprits », lance en balayant les critiques Simeon Karakolev, l’homme à l’origine de cette initiative.

Aux cris de « longue vie à la Bulgarie ! », les spectateurs ont accueilli avec enthousiasme l’immense étendard tout juste dévoilé sur le site de Rojen, à l’occasion d’un festival folklorique.  

Sa surface de 1110 mètres carrés fait référence, tout comme la hauteur du pylône, à la superficie de 111 000 km2 de l’État des Balkans.

Au sein de l’Union européenne, il détrône un mât finlandais de 100 mètres même si ailleurs, l’Égypte, l’Arabie saoudite ou la Corée du Nord ont bâti des structures plus audacieuses encore.

« Il n’est pas du goût de tous, on nous accuse de paganisme mais cet emblème doit être respecté », dit à l’AFP Dimitar Mitev, ancien colonel de l’armée et « patriote » de 69 ans.

Nationalisme prorusse

Le nationalisme, souvent teinté de sentiments prorusses sur cette ancienne terre communiste, prospère en Bulgarie, à l’unisson de la désinformation.

Les citoyens sont « abandonnés à des dirigeants qui mesurent la fierté nationale à la hauteur d’un mât » et sont « sous le joug de la propagande russe », a regretté le politologue Ognyan Mintchev sur Facebook.

Le président Roumen Radev, qui ne cache pas ses sympathies pour le Kremlin, a d’ailleurs profité du rendez-vous dans ce haut lieu des traditions bulgares pour blâmer Kyiv. « Ils insistent pour mener cette guerre dont l’Europe paie l’addition », a-t-il lâché en marge de l’inauguration.

Sur le même ton virulent, il a soutenu mordicus le méga-drapeau, fustigeant « les déshonorantes tentatives de dénigrement », tandis qu’une caricature le montrant virevoltant autour du pylône est devenue virale sur les réseaux sociaux.

L’artisan du projet Simeon Karakolev a remercié les autorités de « ne pas avoir cédé à la pression », s’étonnant du déferlement de « haine de l’intelligentsia bulgare ».

Aux remarques sur les présumées irrégularités du permis de construction, il répond que « les contrôles ont montré que tout était parfaitement légal ».

Halte au béton

Celui qui dirige une fondation ayant pour mission de « faire perdurer l’héritage spirituel de la Bulgarie » défend aussi le mode de financement, jugé opaque par les opposants à l’initiative.  

Au total, 500 000 euros (750 000 dollars canadiens) ont été récoltés via une campagne de dons. Selon la presse locale, des compagnies publiques bien qu’endettées ont été sollicitées, mais les participants ont préféré rester anonymes devant la polémique.  

« N’existe-t-il pas des causes plus urgentes dans ce pays au système de santé délabré, victime d’un exode massif de sa jeunesse ? », s’est offusqué le député de droite Ivaylo Mirtchev.  

« Nous n’avons pas besoin que le drapeau bulgare flotte à des sommets inégalés dans l’UE », a-t-il réagi dans un tweet. Et d’appeler plutôt à lutter contre les maux qui font de la Bulgarie le mauvais élève de l’Union : l’illettrisme, les violences domestiques, la fuite des médecins…

D’autres ont dénoncé une aberration environnementale dans un espace naturel jusqu’ici préservé. « Stop au béton » : une pétition qui a réuni plus de 2000 signatures a tenté en vain de stopper l’aventure.

Venue de la ville voisine avec ses enfants, Sofia Botoucharova évoque son « malaise devant ce grand poteau » de 55 tonnes « sorti de terre au milieu des prairies et forêts ».  

« Une intervention humaine dans la nature » que cette consultante de 38 ans « n’approuve pas ».

Faute de brise, le drapeau a raté ses débuts, pendant mollement du mât le jour J, loin de la splendeur nationale vantée par ses partisans.