(Kyiv) Maksym et son ami portent de vieux casques et des armes factices qui ne peuvent pas tuer. Mais la guerre à laquelle ces deux enfants ukrainiens jouent dans un champ, pour eux bien réelle, est le reflet de traumatismes qui vont perdurer.

Après 15 mois d’invasion russe, le conflit est omniprésent dans la société ukrainienne, au point d’envahir désormais les jeux des enfants.

« J’aime beaucoup jouer à la guerre. J’ai envie de grandir pour devenir un vrai héros », assure le jeune Maksym Moudrak, 10 ans, équipé d’un treillis de combat à sa taille, d’un casque cabossé trop grand pour lui et d’un pistolet en plastique.

Son père, qui n’était pas soldat, a été tué près de Kyiv dans les premiers jours de l’invasion russe, alors qu’il tentait d’aider les combattants volontaires qui voulaient protéger la capitale.

« Il a été très, très affecté par la mort de son père. Il pense tout le temps à lui. Il va au cimetière et pleure », raconte à l’AFP sa grand-mère, Valentyna Moudrak, 72 ans.

Le petit garçon veut désormais devenir un soldat, un moyen pour lui de préserver la mémoire de son père. Et il a une idée claire de qui est responsable de cette guerre.

« Les Russes sont mes pires ennemis », lâche Maksym, qui habite avec sa grand-mère à Stoïanka, près de Kyiv.

« Tous méchants »

L’invasion russe s’est traduite, pour les enfants ukrainiens, par la perte de proches, la fin de l’école et l’exposition précoce aux horreurs de la guerre.

Selon des chiffres de l’ONU, plus de 500 enfants ont péri depuis le 24 février 2022, date du début de l’invasion russe.

Pour la psychologue Kateryna Goltsberg, le fait de « jouer à la guerre » pour les enfants est assez habituel dans les zones de conflit et doit surtout s’analyser comme un moyen pour eux d’exprimer leurs émotions et leur ressenti.

« La guerre change (l’être humain) », dit-elle à l’AFP, évoquant « le stress post-traumatique », inhérent à des chocs, mais aussi la possibilité qu’un individu « sorte plus fort » d’une telle épreuve.

En Ukraine, les combats sur la ligne de front ont ainsi trouvé leur prolongement dans les cours de récréation.

Lessya Chevtchenko, maman de la petite Dana, 8 ans, raconte qu’avant la guerre, sa fille n’avait qu’une envie quand elle rencontrait d’autres enfants : jouer. « Quel est ton prénom ? Viens, on va jouer ! », disait-elle.

Mais lors de récentes vacances à la plage en Bulgarie, Mme Chevtchenko a été stupéfaite d’entendre sa fille demander aux autres enfants d’où ils venaient. Et surtout, quand ces derniers répondaient qu’ils étaient Russes, elle leur tournait le dos et s’en allait sans dire un mot.

« Je ne veux pas leur parler », dit Dana. « Probablement, car je pense que, d’une certaine manière, tous les Russes sont méchants ».

Sa mère, dentiste de 49 ans, dit pourtant ne pas l’avoir éduquée à penser ainsi. Mais le traumatisme est profond pour la petite fille qui a désormais peur des bruits forts et redoute de quitter les abris anti-bombes.

« Revanche »

Si Mme Chevtchenko admet qu’une partie des Russes peuvent être opposés à la guerre en Ukraine, d’autres parents apprennent à leurs enfants que tous les Russes sont responsables.

C’est le cas d’Iryna Kovalenko. Sa fille  Sofia, 6 ans, résume en ces termes son sentiment : « Ma mère m’a dit qu’ils envoyaient des bombes sur l’Ukraine depuis la Russie. Elle a aussi dit que (le président russe Vladimir Poutine) était très méchant ».

La petite enchaîne sans sourciller : « Il tapait des chats et des chiens quand il était enfant. Maintenant qu’il a grandi, il s’en prend aux adultes ».

En leur tenant de tels propos et en leur racontant cette version de la guerre, Mme Kovalenko, une infirmière de 33 ans, assure vouloir mettre en garde ses enfants.

« D’une façon ou d’une autre, ils doivent savoir qui vit à leur porte. L’Ukraine aura toujours une frontière et la Russie sera toujours notre voisin », assure-t-elle.

Dans le groupe de petits camarades de Maksym, l’un d’entre eux paraît particulièrement déterminé.

« Je veux vraiment que nous prenions notre revanche pour tous les soldats qui sont morts au front », lance l’un d’eux, Andriï Chyrokykh, 13 ans, en tenue de combat.

L’adolescent dit rêver de devenir soldat quand il sera grand. L’école ne l’intéresse plus, si ce n’est pour apprendre la stratégie militaire.

« J’ai envie de faire aux Russes ce qu’ils nous ont fait », lâche-t-il.