Le sort précaire des orphelins après le séisme qui a frappé Port-au-Prince a incité les familles adoptives à demander l'accélération des procédures, mais certains organismes humanitaires craignent que la précipitation ne soit mauvaise conseillère.

Mana a cinq ans, son pied a été écrasé, un tiers de ses camarades sont morts et l'orphelinat Notre-Dame de la Nativité, où elle vivait, est en ruines à la suite du tremblement de terre du 12 janvier en Haïti. Mais elle est à l'aube d'une nouvelle vie: bientôt, elle rejoindra ses parents adoptifs en France.

Plusieurs gouvernements ont annoncé des mesures pour accélérer les procédures d'adoption, afin de permettre aux orphelins concernés d'être mis hors de danger.

Mais des ONG comme Save the Children ou World Vision craignent que, dans la précipitation pour sauver les enfants, cette accélération des procédures n'ait pour effet de briser des familles et de déraciner des enfants qui risquent de grandir dans l'isolement et la dépression.

«Nous ne voulons pas empêcher que les enfants soient sauvés», explique Mayi Garneadia-Pierre, une bénévole de l'Unicef qui travaille à l'orphelinat Notre-Dame, où 57 des 132 enfants ont péri.

Mais elle craint la rupture précipitée des liens familiaux. «Quand un enfant atteint l'âge de 15 ans, il a un énorme besoin de références identitaires. Il ne s'agit pas de maltraitance au sens traditionnel mais au sens où cela cause une rupture permanente. Il faut maintenir des liens», insiste-t-elle.

L'Unicef a appelé jeudi à ce que «toute nouvelle adoption, particulièrement internationale, soit gelée pendant la phase d'urgence», afin de tenter d'abord de réunir les enfants avec leurs familles.

Mais certains gouvernements occidentaux et certaines familles désireuses d'adopter arguent qu'après un désastre humanitaire d'une telle ampleur, les enfants devraient avoir une chance de démarrer une nouvelle vie dans un pays leur proposant un meilleur avenir et de meilleurs soins médicaux.

Il s'agit d'un débat aux enjeux importants, avec une forte composante émotionnelle, et l'exemple de Mana et de ses camarades n'aide pas à trancher.

Jeudi matin, la fillette était endormie sur un lit de camp dans un hôpital de campagne installé sur le terrain du lycée français de Pétion-Ville, et une nounou caressait doucement ses cicatrices, laissées par deux blessures à la tête.

Mana est petite pour son âge et ses pieds sont bandés: les deux sont fracturés et l'un est même en miettes. Les médecins pensent qu'elle ne remarchera jamais normalement.

Elle n'ouvre pas la bouche ni ne sourit, mais devant l'afflux à son chevet de médecins et de journalistes, son visage se décompose et elle semble s'apprêter à pleurer. Pourtant, elle ne verse aucune larme et n'émet aucun son.

L'adoption de Mana était en cours avant le séisme. Elle devrait quitter Haïti dès jeudi à bord d'un vol pour la Guadeloupe.

Eveline Louis-Jacques, qui dirige l'orphelinat Notre-Dame depuis huit ans, souligne qu'aucun de ses pensionnaires ou presque n'a perdu ses parents, mais qu'ils lui ont été confiés par des familles pauvres.

«Je les appelle des orphelins économiques. Ils vont tous être adoptés en France», dit-elle à propos des 74 enfants, dont quatre de moins de six mois, qui jouent dans une cour plantée de manguiers et de cocotiers.

Son orphelinat a reçu de l'eau potable et l'Unicef prévoit de leur livrer de la nourriture, des fournitures d'urgence au cours de la journée.

En attendant que la communauté internationale ne décide de la suite des événements.