Alors que l'Afrique avait d'abord soutenu presque unanimement Alassane Ouattara comme vainqueur de la présidentielle ivoirienne, le chef d'État sortant Laurent Gbagbo, qui n'entend pas céder, semble marquer des points avant un important sommet de l'Union africaine (UA).

À l'issue d'une visite surprise à Abidjan, la déclaration mardi soir du président en exercice du l'UA, le Malawite Bingu wa Mutharika, a symbolisé les lézardes du front africain.

Sans mentionner M. Ouattara qu'il avait pourtant aussi rencontré, il a promis de présenter les «propositions» de son «frère et ami» Laurent Gbagbo, lors du sommet de l'UA à Addis Abeba les 30 et 31 janvier, pour résoudre la crise née de la présidentielle du 28 novembre.

Le virage est spectaculaire: début janvier, M. Mutharika avait appelé «Gbagbo à céder le pouvoir à Ouattara pour (...) éviter un bain de sang».

Rien à voir non plus avec le médiateur de l'UA, le premier ministre kényan Raila Odinga, après l'échec de sa dernière mission le 19 janvier, qui parlait de «monsieur Laurent Gbagbo» et du «président élu Ouattara», dont l'élection a été avalisée par l'UA dès le 4 décembre, comme par la quasi-totalité de la communauté internationale. M. Odinga avait même suggéré l'emploi de la manière forte si Laurent Gbagbo s'entêtait.

Depuis, l'idée d'un recomptage des voix, proposée par Gbagbo et refusée par son rival, fait son chemin dans l'esprit de certains dirigeants africains, de plus en plus rétifs à l'option militaire brandie par l'Afrique de l'Ouest -surtout le Nigeria- pour déloger M. Gbagbo.

Le président sud-africain Jacob Zuma a ainsi souhaité «quelque chose d'autre que demander à l'un des deux chefs de partir» et Yoweri Museveni (Ouganda) a plaidé pour «une approche sérieuse concernant l'examen du processus» électoral.

Le chef d'État équato-guinéen Teodoro Obiang Nguema devrait proposer au sommet de l'UA, dont il pourrait prendre la présidence tournante, la création d'une «commission spéciale sur le règlement» de la crise, privilégiant «une solution pacifique» souhaitée aussi par l'Angola, important allié de M. Gbagbo.

Le président ivoirien sortant «a réussi à fédérer autour de lui les pays qui sont frustrés par l'hégémonie occidentale, par idéologie anticolonialiste, mais aussi certains pouvoirs autoritaires qui ne voient pas d'un bon oeil l'ordre donné à Gbagbo de partir, surtout à la lumière de ce qui se passe en Tunisie», analyse une source diplomatique africaine interrogée par l'AFP.

«Ceux qui étaient curieusement silencieux jusque-là et dont les langues se délient aujourd'hui ne sont pas les plus démocrates. Ils voient bien que ce qui se passe en Côte d'Ivoire les met en danger chez eux», assure Anne Ouloto, porte-parole de M. Ouattara.

Hors des considérations de principe, un recomptage des voix soulève aussi de sérieuses questions pratiques, fait valoir une source diplomatique occidentale. «Où sont les bulletins, les urnes? Quelles ont été les conditions de stockage? Le recomptage n'est pas possible», tranche-t-elle, alors que le camp Gbagbo y voit le moyen de sortir de l'impasse.

Si, sur la scène diplomatique, l'étau semble se desserrer autour de M. Gbagbo, la partie reste cependant difficile pour lui sur le plan économique, M. Ouattara, ses alliés d'Afrique de l'Ouest et la communauté internationale tentant de l'asphyxier financièrement.

Lundi, Alassane Ouattara a ainsi ordonné un arrêt des exportations de cacao, dont la Côte d'Ivoire est le premier producteur mondial et selon le Financial Times de mardi, le groupe agroalimentaire américain Cargill, premier négociant de cacao dans le monde, aurait d'ores et déjà «suspendu temporairement» ses achats ivoiriens.

Preuve que la menace est prise au sérieux, un ministre du camp Gbagbo a  dénoncé mercredi une volonté d'«affamer» les Ivoiriens.