La population haïtienne, déjà fortement éprouvée par la montée en puissance de nombreux gangs armés, doit composer avec l’instabilité additionnelle suscitée par l’impasse politique frappant le pays.

Le premier ministre Ariel Henry, qui s’était engagé à tenir des élections afin de céder le pouvoir le 7 février, a annoncé cette semaine qu’il entendait demeurer en poste tant que la situation sécuritaire ne permettrait pas la tenue du scrutin promis.

Il a indiqué à la télévision nationale qu’une « transition ne débouche pas sur une autre transition », rejetant du coup les appels à la démission émanant de nombreux acteurs de l’opposition.

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Un homme lève le poing lors d’une manifestation pour réclamer la démission du premier ministre haïtien, Ariel Henry, lundi.

Plusieurs manifestations réclamant le départ du premier ministre, qui dirige le pays depuis l’assassinat du président Jovenel Moïse en 2021, ont eu lieu dans les dernières semaines, menant à des affrontements violents à plusieurs endroits.

Les Nations unies ont indiqué vendredi qu’au moins 16 personnes avaient été tuées et 29 autres blessées, pour la plupart lors d’affrontements entre opposants au régime et forces de l’ordre, du 20 janvier au 7 février.

Un face-à-face meurtrier est notamment survenu à Port-au-Prince entre des policiers et des membres armés d’une brigade environnementale en rupture avec le gouvernement.

Une source policière a indiqué à l’Agence France-Presse que cinq agents de la brigade, chargée en temps normal de la surveillance de parcs nationaux, avaient été tués et trois autres arrêtés.

Diego Da Rin, analyste de l’International Crisis Group, a indiqué que des membres haut placés de la brigade sont proches de Guy Philippe, un ex-putschiste qui appelle depuis des semaines la population à manifester contre le premier ministre.

L’ancien politicien, rentré au pays à l’automne après avoir purgé une peine d’emprisonnement aux États-Unis pour blanchiment d’argent lié au trafic de drogue, a visité de nombreuses régions pour appeler au soulèvement.

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L’ex-putschiste haïtien Guy Philippe en 2016, quelques mois avant son arrestation et son extradition vers les États-Unis.

La contestation de rue risque néanmoins de s’essouffler rapidement, dit M. Da Rin. La population, particulièrement à Port-au-Prince, « a d’autres priorités que de risquer sa vie chaque jour pour manifester » alors que des gangs armés font régner la terreur, dit-il.

Non moins de 1100 personnes, dont 300 membres de gangs, ont été tuées durant le mois de janvier, soit trois fois plus que durant cette période en 2023.

Le Kenya, prochain gendarme d’Haïti ?

Ariel Henry réclame le déploiement d’une force de sécurité internationale qui a reçu l’aval l’automne dernier du Conseil de sécurité des Nations unies.

Le Kenya a déclaré qu’il était disposé à prendre la tête de l’opération en envoyant un millier de policiers, mais un tribunal de Nairobi a bloqué l’initiative récemment en soulignant qu’un « arrangement » devait être formalisé entre les deux pays pour aller de l’avant.

Le président kényan William Roto a assuré que cette question serait rapidement réglée et a promis d’aller de l’avant sans attendre le résultat d’un appel déposé devant les tribunaux.

M. Da Rin note qu’un contingent de quelques centaines d’agents sera déployé dans un premier temps en Haïti pour prendre la mesure de la situation et élaborer un plan d’action précis. La mission devrait compter environ 5000 personnes et disposer d’armement lourd.

L’espoir, note le représentant d’ICG, est que quelques opérations musclées pourront convaincre les groupes criminels de rentrer dans le rang, un résultat pour le moins incertain.

Le bilan mitigé de la police kényane en matière de respect des droits de la personne alimente les craintes de dérapage même si le contingent devant être déployé dans le pays regroupe des agents spécialement formés pour travailler notamment dans des environnements urbains difficiles.

Un hypothétique apaisement sur le plan sécuritaire serait de nature à faciliter la tenue d’élections, mais ne change rien pour l’heure à la vague de critiques ciblant Ariel Henry.

L’opposition est « fragmentée et hétéroclite », mais réclame presque à l’unanimité son départ, note M. Da Rin. « Les gens ont de moins en moins confiance dans la promesse du premier ministre » de tenir des élections, note l’analyste.

Quant à la population, elle éprouve « de plus en plus de frustration » en voyant que le chaos se généralise et que le quotidien est de plus en plus difficile, ajoute-t-il.

« Catastrophe humanitaire »

Les Nations unies, qui parlent d’une véritable « catastrophe humanitaire », notent dans un récent bilan que près de la moitié des Haïtiens, soit 5,5 millions de personnes, ont besoin d’une aide directe pour survivre.

Des centaines de milliers de personnes ont été déplacées en raison de la violence et se retrouvent dans des zones surpeuplées où l’eau potable manque et les infrastructures sanitaires font défaut, alimentant les risques de choléra.

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De jeunes Haïtiens, qui ont dû quitter leurs maisons à cause de la violence armée, se mettent à l’abri dans une école publique.

« Même si l’amélioration de la situation sécuritaire est une condition préalable pour briser le cycle des crises en Haïti, la stabilité à long terme ne sera atteinte qu’en s’attaquant aux causes profondes de la pauvreté, de la discrimination sociale et économique, mais aussi de la corruption », a prévenu vendredi le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme, Volker Türk.