La crise humanitaire et alimentaire qui secoue actuellement Haïti est la pire depuis 2010, année du terrible séisme du 12 janvier, estime Jean-Martin Bauer, directeur du Programme alimentaire mondial (PAM), organisme de l’ONU chargé de l’aide alimentaire, qui était de passage à La Presse lundi.

Ce qu’il faut savoir

  • Une crise alimentaire touche environ 45 % de la population en Haïti.
  • Cette crise est entre autres causée par des luttes entre groupes armés dont les fermiers sont parfois victimes.
  • L’ONU propose un plan de réponse de 719 millions, mais moins de 30 % de cette somme a été amassée.

De nombreux facteurs expliquent cette nouvelle crise, en raison de laquelle près de 45 % des Haïtiens (autour de 5 millions de personnes) ont faim. Et la multiplication de violences entre gangs armés dans le pays ajoute beaucoup de pression au mal ambiant. Notamment parce que des membres de ces gangs s’attaquent aux producteurs et autres éléments de la chaîne alimentaire locale, indique M. Bauer.

Plus tôt cette année, les Nations unies ont réclamé un plan de réponse de 719 millions à la communauté internationale afin de combler les besoins. C’est deux fois plus qu’en 2022, alors que le plan de réponse demandait 350 millions. Or, moins de 30 % des 719 millions demandés ont été amassés en date d’aujourd’hui.

C’est pour cette raison que Jean-Martin Bauer est venu en mission à Québec et à Montréal cette semaine dans l’espoir d’éveiller les consciences. Plus tôt cette année, il avait aussi visité l’Europe et Washington afin de réclamer plus d’aide.

PHOTO THERESA PIORR, FOURNIE PAR LE PROGRAMME ALIMENTAIRE MONDIAL

Le directeur du Programme alimentaire mondial en Haïti, Jean-Martin Bauer

Tous ceux qui peuvent aider doivent en faire plus, dit l’homme à la voix posée. Les gouvernements, les agences de l’ONU, les organisations non gouvernementales, la société civile, la diaspora. Tous doivent réfléchir pour être à la hauteur du défi. On a eu l’aide du Canada, mais il faut que ça continue.

Jean-Martin Bauer, directeur du Programme alimentaire mondial en Haïti

En plus de faire une tournée des médias, M. Bauer doit rencontrer plusieurs interlocuteurs d’ici la fin de la semaine, dont la ministre des Relations internationales et de la Francophonie, Martine Biron, mercredi. Le cabinet de Mme Biron nous a confirmé que cette rencontre aura lieu.

Homicides et kidnappings en hausse

La visite de M. Bauer à La Presse a par ailleurs coïncidé avec la publication d’un reportage de l’Agence France-Presse voulant que le nombre de crimes graves atteigne des records en Haïti cette année.

En seulement trois mois, du 1er juillet au 30 septembre, la police nationale a enregistré 1239 homicides dans le pays, soit deux fois plus qu’à la même période en 2022, où l’on en avait enregistré 577.

Toujours de juillet à septembre 2023, on fait le constat de 701 enlèvements, dont 221 femmes, 8 filles et 18 garçons, un bond de 244 % sur 2022.

Lisez l’article « Haïti : danger et crimes à des niveaux record, prévient l’ONU »

Les agriculteurs haïtiens et d’autres membres de l’industrie alimentaire du pays font partie des victimes de ces violences, constate Jean-Martin Bauer. « Les groupes armés s’en prennent aux camions des commerçants, affirme-t-il. Ils kidnappent des agriculteurs, mais aussi des Madan Sara, ces femmes qui amènent les produits des fermes jusqu’aux marchés. Il y a des fermes de l’Artibonite [région d’Haïti aux terres les plus fertiles] où la production s’est arrêtée parce que la situation est trop dangereuse. Deux de nos bureaux ont aussi été attaqués. »

PHOTO RALPH TEDY EROL, ARCHIVES REUTERS

Manifestations de gangs armés contre le premier ministre Ariel Henry, le 19 septembre dernier à Port-au-Prince

Comme indiqué précédemment, d’autres facteurs contribuent à la crise actuelle en Haïti. M. Bauer nomme tour à tour la situation économique, avec une inflation de 40 % et une dévaluation de la monnaie, des évènements climatiques, dont une sécheresse en début d’année et des pluies diluviennes en juin, ainsi qu’une dégradation de l’autosuffisance au cours des dernières décennies.

Pour Jean-Martin Bauer, la situation actuelle est d’autant plus désolante que le PAM s’emploie constamment à aider les producteurs et entrepreneurs locaux dans l’espoir de maintenir un tissu économique.

« Une des choses que le PAM a réussie dans les deux dernières années est de faire passer le pourcentage de contenu local dans les programmes de cantine scolaire de 20 à 50 %. Ça se fait avec les petits producteurs, les organisations paysannes. On a aussi mis en place tout un programme de microassurance, dit-il fièrement. Il est cependant indispensable de maintenir ces efforts. On doit renforcer nos actions auprès des petits producteurs pour que les gens puissent vivre de leurs productions. »

Selon Marilyne Guèvremont, porte-parole d’Affaires mondiales Canada, le Canada a, depuis 2022, fourni plus de 315 millions de dollars en nouveaux fonds pour Haïti. « Cette aide concerne différents secteurs, notamment la santé, l’éducation, la gouvernance, la sécurité et la lutte contre la corruption et l’impunité, indique-t-elle. Ce montant comprend 13 millions de dollars d’aide humanitaire fournie par le Canada en 2023 pour répondre aux besoins les plus pressants de la population. »

Avec l’Agence France-Presse

En savoir plus
  • 160 millions
    En 2022, le PAM a aidé 160 millions de personnes dans le monde.
    Source : programme alimentaire mondial
    19 000
    En 2022, quelque 19 000 personnes de Cité-Soleil, un quartier de Port-au-Prince, étaient en classe 5 d’insécurité alimentaire (niveau catastrophe). Ce quartier a alors frôlé la famine.
    Source : Jean-Martin Bauer, directeur du Programme alimentaire mondial en Haïti