Dans un « geste désespéré », le président équatorien Guillermo Lasso autorise le port d’armes pour les civils. Assez pour sauver son poste ?

Autoriser le port d’armes ? Mais pourquoi ?

Officiellement, pour lutter contre l’insécurité croissante en Équateur, qui compte 18 millions d’habitants. Cette décision était réclamée par une partie de la population, fatiguée des violences qui gangrènent le pays, où le taux d’homicide est passé de 13,7 à 25,5 pour 100 000 habitants au cours des deux dernières années.

Pourquoi cette hausse des violences ?

Elle serait en grande partie due aux groupes criminels, les ports équatoriens étant devenus une plaque tournante du trafic de la cocaïne venue de Colombie. Ce sont d’ailleurs les provinces côtières qui sont les plus touchées, à commencer par la ville de Guayaquil, où le président vient justement d’instaurer l’état d’urgence, avec couvre-feu de 1 h à 5 h du matin.

PHOTO GERARDO MENOSCAL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Soldats montant la garde à un point de contrôle dans une rue de Guayaquil, le 3 avril 2023, après l’instauration de l’état d’urgence

Et que dit le président Lasso ?

Son décret, signé le 2 avril, stipule que tout civil âgé de plus de 25 ans a désormais le droit de porter une arme de petit calibre.

Ma parole, on se croirait aux États-Unis !

Pas tout à fait, soyons honnêtes. Car les prérequis pour obtenir une arme sont assez nombreux. Il faut notamment fournir une attestation psychologique délivrée par le ministère de la Défense, ne pas avoir de casier judiciaire et avoir passé des tests toxicologiques. « Ça ne sera assurément pas aussi facile qu’aux États-Unis », explique Sebastián Hurtado, analyste de l’agence Prófitas, établie à Quito. « Mais cette nouvelle loi se démarque clairement de ce qu’on a vu en Équateur depuis 10 ans, où on assistait plutôt à la tendance inverse. »

Comment a été reçue cette décision ?

Une partie de la population la soutient. Mais d’autres s’inquiètent des conséquences et craignent que ce décret n’exacerbe les violences et la répression, notamment à l’endroit des populations autochtones. Certains y voient surtout l’impuissance du gouvernement à assurer la sécurité des citoyens.

Y avait-il d’autres solutions ?

Sans doute. Mais Guillermo Lasso joue son va-tout. Ce président de droite est actuellement très affaibli politiquement et ce décret est aussi perçu comme une stratégie pour s’accrocher au pouvoir. « Je crois que c’est une décision désespérée, résume Sebastián Hurtado. En rassurant une partie de la population, il détourne le public des enjeux véritables qui hantent son gouvernement depuis quelques mois. »

Ah bon ? Quels enjeux ?

Élu par une faible marge en 2021 (52,4 %), cet ancien banquier est de plus en plus isolé et sa cote de popularité est au plus bas. Il a perdu ses soutiens politiques et la confiance des électeurs dans un contexte d’inflation galopante, de dégradation des services publics et de violences incontrôlées. Le parti CREO de M. Lasso a aussi perdu des élections municipales début février – dont les villes importantes de Quito et Gaya – ainsi qu’un référendum portant sur une dizaine de questions cruciales (réduction du nombre de parlementaires, extradition des narcotrafiquants), avec lequel il comptait reprendre la main et consolider son pouvoir.

Double défaite ? Mais c’est la débâcle !

Et ce n’est pas terminé… M. Lasso sera bientôt soumis à un vote de destitution au Parlement, qui est contrôlé par l’opposition. On l’accuse d’être lié à des affaires de corruption, mais il dénonce pour sa part un « procès politique ». La destitution est prononcée si les deux tiers de la Chambre l’approuvent, soit 92 élus sur 137. C’est la seconde fois en deux ans qu’il est soumis à un tel test. Il avait survécu en 2022, dans la foulée de grosses manifestations menées par des groupes autochtones. « Mais je crois que cette fois, l’opposition va recueillir assez de votes, prédit Sebastián Hurtado. Je crois que ses jours sont comptés ». À moins que…

À moins que quoi ?

Guillermo Lasso a encore une carte dans sa manche, soit la dissolution du Parlement. Cela lui permettrait de gouverner par décrets pendant trois ou quatre mois avant de déclencher des élections. Si on se fie aux dernières élections municipales, un nouveau scrutin serait sans doute à l’avantage de l’opposition, dont le parti Révolution citoyenne de l’ancien président socialiste Rafael Correa (2007-2017), condamné pour corruption et actuellement en exil en Belgique. Cela confirmerait la vague de gauche qui inonde actuellement l’Amérique latine. Mais cette crise politique pourrait aussi avoir de fâcheuses répercussions, considérant le potentiel grandissant de violence armée dans le pays, petits calibres ou pas…

Avec Courrier international, Libération, Peoples Dispatch, Reuters, France Culture, l’Agence France-Presse et Perspective Monde