Le gouvernement du Pérou a singulièrement durci le ton envers sa minorité autochtone d'Amazonie, en saisissant la justice pour dissoudre le principal collectif indigène du pays, pour son rôle dans des violences qui avaient fait 34 morts en juin.

L'Association interethnique de développement de la jungle péruvienne (AIDESEP), qui dit représenter 1 350 communautés éclatées sur 65 ethnies -400 000 âmes environ- a réagi jeudi à cette «volonté» de la «réduire au silence» en convoquant les «apus» (chefs coutumiers) à une «réunion d'urgence». L'AIDESEP a annoncé avoir reçu une convocation judiciaire pour le 5 novembre, à la suite de la demande ministérielle de dissolution «pour actions contraires à l'ordre public» en mai-juin.

Des poursuites étaient déjà pendantes contre des dirigeants du collectif, dont trois réfugiés au Nicaragua.

Mais l'offensive contre l'organisation elle-même contraste avec le relatif climat de réconciliation entre État et indigènes d'Amazonie qui a suivi les violences des 5-6 juin à Bagua (nord).

Sur un blocus routier d'Amérindiens protestant contre la surexploitation de l'Amazonie, une intervention de police avait dérapé en affrontements, faisant 34 morts dont 24 policiers: les plus sanglantes violences au Pérou depuis 1992, en pleine «guerre contre le terrorisme». L'incident de Bagua avait choqué le pays et ému la communauté internationale des droits de l'Homme, motivant une visite expresse du rapporteur spécial de l'ONU sur les peuples autochtones, James Anaya.

Dans un rapport présenté jeudi à Lima, la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme a surtout imputé la tragédie à une opération de police «mal planifiée et exécutée», qui généra des «réflexes d'autodéfense et de résistance» chez les autochtones.

La FIDH a demandé que Bagua ne soit ni oublié ni impuni, mais a aussi appelé à la fin des poursuites judiciaires contre des dirigeants autochtones, pour «rétablir la confiance» et le dialogue.

Dans la foulée de Bagua, le Parlement avait révoqué des décrets contestés sur l'exploitation de l'Amazonie. Un mois plus tard, le premier ministre avait été remplacé. Et depuis juillet, l'État a mis en place des tables de dialogue incluant des représentants autochtones.

Mi-octobre, deux leaders amérindiens, Saul et Cervando Puerta Pena, ont même regagné le Pérou pour s'y défendre, après que la justice eut transformé leurs mandats d'arrêt en simples demandes de comparution.

Mais l'État reste résolu dans sa confrontation avec l'AIDESEP. Il n'a pas digéré le maladroit appel à l'«insurrection amazonienne» lancé en mai par l'ex-numéro un du collectif, Alberto Pizango, mot d'ordre qu'il avait retiré 24 heures plus tard.

Il est aussi persuadé que l'AIDESEP, un collectif organisé distinct de la hiérarchie émiettée des «apus», est un foyer de radicaux influencés en partie de l'étranger, par des ONG ou des «connexions» dans des pays voisins. La Bolivie du socialiste Evo Morales fut montrée du doigt.

Surtout, le gouvernement de centre-droit d'Alan Garcia, avide de renouer avec sa croissance record de 2007-08, ré-assène peu à peu le message que rien ni personne n'arrêtera l'exploitation des riches ressources de l'Amazonie, environ 60% de son territoire.

Le groupe public Petroperu a annoncé mercredi que le pays triplera quasiment sa production d'hydrocarbures d'ici 2015, pour atteindre 400.000 barils/jour.

Dix-sept «lots» ou concessions sont ainsi en préparation -dix dès 2010- dans le nord-est amazonien, où les communautés indigènes sont dûment «consultées», mais n'auront «pas droit de veto», a prévenu le numéro un de Petroperu, Daniel Saba.