Début août, une explosion dans une base militaire russe a mis en lumière les efforts du pays de Vladimir Poutine pour développer des missiles à propulsion nucléaire. Mais d’autres missiles russes sont plus inquiétants. En juillet, le Congrès américain a publié un rapport sur les missiles hypersoniques que la Russie et la Chine s’apprêtent à introduire dans leur arsenal. La Presse s’est entretenue avec l’auteure du rapport, Kelley Sayler, du Service de recherche du Congrès.

Qu’est-ce qu’un missile hypersonique ?

C’est un missile de croisière qui peut atteindre Mach 6 à 10, soit 6 à 10 fois la vitesse du son. Comme il n’a pas une trajectoire balistique [un missile balistique monte vers l’espace puis redescend, au lieu d’aller en ligne droite], il ne peut être détecté qu’au dernier moment.

Pourquoi publier ce rapport maintenant ?

Nous nous penchons sur des questions qui reviennent dans les débats au Congrès ou dans les budgets. On voit de plus en plus de mentions des missiles hypersoniques dans les deux cas.

Y a-t-il des obstacles techniques importants ?

Il faut évidemment des métaux et des matériaux adaptés à ces vitesses. Mais pour ce qui est des missiles hypersoniques qui planent, par opposition aux missiles motorisés, le travail qui reste à faire est de tester des prototypes et de décider quelles seront les caractéristiques des missiles.

La mise au point des missiles hypersoniques motorisés est donc moins avancée ?

Oui. Par exemple, on estime que le missile russe planeur Avangard sera mis en service au plus tôt en 2020, alors que pour le missile russe motorisé Zirkon, on parle de 2023. Les programmes de recherche américains sur les missiles hypersoniques motorisés sont menés par la DARPA, l’agence chargée des recherches militaires expérimentales et techniques. En 2020, le programme de missile hypersonique à entrée d’air de la DARPA doit être réévalué.

PHOTO ALEXEI DRUZHININ, ASSOCIATED PRESS

Vladimir Poutine, président de la Russie

Le retard américain que vous décrivez dans le rapport n’est donc pas d’ordre technologique, mais lié à des raisons politiques ?

Le Congrès fait très attention à ne financer que les programmes qui sont assez matures pour avoir des chances raisonnables d’aboutir. Il y a eu aussi des inquiétudes sur la perception que les adversaires des États-Unis auraient de missiles hypersoniques.

Vous évoquez la possibilité que les missiles hypersoniques soient suivis par une nouvelle génération de satellites de surveillance.

Ils sont apparemment 10 à 20 fois moins lumineux que les missiles balistiques, donc impossibles à suivre avec les satellites actuels. Il pourrait y avoir une nouvelle constellation de satellites en orbite basse pour les suivre à la trace, peut-être avec de nouveaux appareils et sûrement avec une nouvelle architecture de communications.

Les missiles hypersoniques seraient également plus difficiles à contrer avec les systèmes antimissiles actuels.

Oui, il faudrait peut-être un algorithme qui suit les missiles hypersoniques et propose des cibles à un opérateur. Pour le moment, le seul programme américain qui s’approche de cela est le projet Maven d’analyse de l’imagerie par intelligence artificielle pour améliorer les frappes de drones aériens.

Pourquoi les États-Unis ne développent-ils pas de missiles hypersoniques nucléaires, comme les Russes et les Chinois ?

Les missiles nucléaires ont besoin d’une moins grande précision, et sont donc plus faciles à mettre au point. Mais ils peuvent mener plus rapidement à une escalade : si un lancement de missile hypersonique est détecté mais qu’il est impossible d’en suivre la trajectoire, un adversaire peut craindre une frappe nucléaire et lancer une contre-attaque avant de voir où le missile hypersonique nucléaire va tomber.

N’y a-t-il pas un tabou nucléaire qui limiterait l’utilisation de ces missiles hypersoniques russes et chinois ?

Certains analystes pensent qu’il serait suicidaire d’utiliser un missile nucléaire contre les États-Unis. D’autres pensent que les Russes ont incorporé les missiles nucléaires à faible puissance à leur doctrine militaire.

Vous évoquez une autre technologie, le Xing Kong 2 chinois, missile hypersonique planeur qui surfe sur ses propres ondes de choc.

C’est une technologie qui est encore plus futuriste.

Parmi les autres pays avec des programmes de missiles hypersoniques, il y a la France, qui utilise des souffleries russes pour ses tests. Cette collaboration se poursuit-elle, vu la nouvelle guerre froide ?

À ma connaissance, oui. Je préfère ne pas la commenter.

Le Japon a aussi un programme, mais à des horizons encore plus lointains. Pourquoi ?

Probablement parce que la Constitution du Japon prohibe les armes offensives. Le Japon veut être à la fine pointe, mais n’investit pas tant d’efforts sur ce point.

Programmes en cours

L’Avangard russe

Vladimir Poutine a annoncé l’an dernier, après trois tests réussis, que le missile planeur hypersonique Avangard serait déployé en 2019, mais ce ne sera pas avant 2020, selon le rapport du Congrès. Le pays de Tolstoï planche également sur un missile naval à courte portée, Tsirkon, qui serait opérationnel en 2023.

La Chine aussi

Le missile de croisière à moyenne portée DF-ZF devrait être opérationnel en 2020, selon le rapport du Congrès. Le missile balistique à moyenne portée DF-17 a fait plusieurs tests de têtes hypersoniques planeuses, qui seraient plus difficiles à contrer que les têtes nucléaires multiples des missiles balistiques traditionnels. Quelques tests du missile balistique intercontinental DF-41 ont aussi été faits avec des têtes hypersoniques planeuses. La Chine a fait 20 fois plus de tests hypersoniques que les États-Unis.

Les missiles américains

La marine américaine a réussi en 2011 et 2017 deux tests de têtes hypersoniques planeuses montées sur ses missiles balistiques intercontinentaux, mais les tests doivent se poursuivre jusqu’en 2024. Le programme de l’armée vise un premier test de missile hypersonique en 2023. L’armée de l’air veut pour sa part tester à partir de 2022 deux missiles de croisière hypersoniques lancés depuis un bombardier B-52. L’un d’entre eux, à courte portée, atteindrait une vitesse de Mach 20.

Le X-43

Les États-Unis testent depuis quelques années des « stratoréacteurs à combustion supersonique » (scramjet), permettant aux avions d’effectuer des vols hypersoniques. Le drone X-43 de la NASA a atteint Mach 9,6 en 2004 et le drone X-51 de Boeing, Mach 5 en 2010. Un programme soviétique, le Kholod, a mené à des prototypes à la fin des années 80, mais a été abandonné après.

Les records américains

Deux avions américains ont le record des vols d’avions avec pilote. L’avion-espion SR-71, en service entre 1968 et 1990, pouvait aller à Mach 3. L’avion expérimental X-15, lancé à 4 km d’altitude depuis un B-52, a atteint Mach 6,7 en 1967.