La neige est tombée sur la dernière réunion de campagne d'Evo Morales, ce qui dans la tradition de son peuple est de bon augure.

Mais il faudra plus que la probable victoire du premier président indien de Bolivie au référendum de dimanche sur son maintien à la tête de l'État pour espérer renouer le dialogue avec l'Est du pays, violemment opposé aux réformes socialistes.

Deux ans après l'élection d'Evo Morales, la Bolivie progresse mais reste le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud. «À bien des égards, l'État bolivien a échoué. Nous sommes en train de devenir une sorte de rassemblement d'États-cités», estime le politologue bolivien Eduardo Gamarra, de l'Université internationale de Floride.

Evo Morales et son gouvernement ont d'ailleurs de plus en plus de mal à simplement se rendre dans l'Est du pays au capitalisme triomphant. Des manifestations ont forcé le président à renoncer à ses déplacements dans près de la moitié du territoire cette semaine, et des barrages de pneus en feu ont entraîné l'annulation d'un sommet sur l'énergie avec ses homologues du Venezuela et d'Argentine dans le département gazier de Tarija.

«On pourrait bien se réveiller lundi matin avec un président soutenu par 55% des électeurs mais incapable de poser son avion dans quatre des neuf départements», prévient Jim Shultz, analyste politique au Centre pour la démocratie, un cercle de réflexion à but non lucratif installé à Cochabamba.

Le référendum de dimanche concernera également le vice-président et tous les préfets, à l'exception d'un seul récemment élu. La plupart devraient conserver leur poste, mais les sondages suggèrent une probable révocation du préfet de l'opposition dans le département de Cochabamba, bastion des cultivateurs de coca pro-Morales. Or le préfet Manfred Reyes rejette la légitimité de la consultation populaire et devrait donc en contester les résultats.

Au coeur de la crise se trouvent la terre et surtout le gaz naturel. Le président Morales s'est engagé à ne pas toucher à la propriété privée, sauf pour les terres en friches de l'Est, arguant qu'elles servent à la spéculation et devraient être redistribuées aux Indiens, pauvres dans leur grande majorité. Sa réforme agraire ne progresse guère, rencontrant une féroce résistance des grands propriétaires.

Les recettes du gaz naturel et des métaux précieux divisent encore plus le pays. Depuis que le président a nationalisé les gisements de gaz et renégocié les contrats d'exploitation, dans le cadre de son programme énergétique lancé en 2006, la Bolivie touche environ 85% des revenus, somme d'autant plus importante que les marchés s'envolent. Les exportations rapportent quasiment deux fois plus qu'en 2005, pour atteindre 4,7 milliards de dollars (3,13 milliards d'euros) en 2007.

Cette manne a alimenté une croissance économique de 4,7% l'an dernier, ainsi que des réserves de devises étrangères de 7,5 milliards de dollars (5 mds d'euros), tandis que la dette extérieure reste modérée, à US$3,8 mds (2,5 mds d'euros).

Evo Morales voudrait exploiter cette richesse pour mettre en place un régime national de retraite s'appliquant aussi aux mères au foyer ou aux travailleurs de l'économie parallèle, mais ses efforts de centralisation du contrôle des recettes se heurtent aux réticences des départements. Quatre d'entre eux ont déclaré leur autonomie depuis le début de l'année dans des référendums largement

symboliques.

À ces scrutins locaux, le président oppose la consultation nationale de dimanche. Plusieurs sondages réalisés fin juillet le créditent d'environ 54% des votes, comme à la présidentielle de décembre 2005, et une enquête Gallup va jusqu'à 61%, avec plus ou moins 2,3 points de marge d'erreur et un échantillon plus rural que les autres.

Evo Morales, 48 ans, et son Mouvement vers le socialisme (MAS) risquent malgré tout de n'en avoir pas les coudées plus franches. Un projet de Constitution accordant davantage de pouvoir aux peuples indigènes et autorisant le président à briguer deux mandats consécutifs de cinq ans reste bloqué, tandis que l'hostilité des départements orientaux grandit.

Jeudi, les opposants ont empêché la venue d'Evo Morales dans les départements de Pando, Santa Cruz et Beni, et récemment des coups de feu étaient tirés dans les roues d'un ministre chassé du Santa Cruz. Les Vénézuéliens sont encore plus mal venus, l'opposition accusant le président Hugo Chavez d'ingérence dans la politique intérieure bolivienne.

Evo Morales a mis en garde les préfets de l'Est dans son dernier discours de campagne jeudi soir, les soupçonnant de vouloir manipuler les foules et biaiser le référendum: «Il n'y aurait pas de dictature civile.»