Deux ans après le retrait de Fidel Castro, les rues de La Havane affichent moins de slogans politiques et plus d'autobus, mais les habitants de la capitale, s'ils se sont habitués à la disparition de la scène du chef historique cubain, restent partagés sur l'ampleur des changements introduits par son frère Raul.

«Ici, il n'y a pas de changements, il y a la continuité», assure énergiquement, et fièrement, Julian Rodriguez, qui, à 75 ans, dirige le Comité de défense de la révolution (CDR) --»les yeux et les oreilles de la révolution»-- du quartier populaire de Marianao qui, comme beaucoup d'autres dans la capitale, a troqué ses slogans politiques ultra-révolutionnaires pour le mot d'ordre «rauliste»: la lutte pour «l'efficacité».

Président en titre depuis cinq mois, Raul Castro, qui doit parler samedi à Santiago de Cuba (sud) à l'occasion de la fête nationale du 26 juillet, avait annoncé à la même date l'an dernier des «changements structurels» et «conceptuels», tout en prévenant qu'ils se feraient «prudemment» et «pas à pas».

De fait, pour Maria Cruz, une employée de 54 ans, «il y a moins de pression politique, on est moins accablé de ce côté-là», dit-elle, relevant que, depuis juillet 2006, date à laquelle Fidel Castro a dû céder le pouvoir à son frère après une grave hémorragie intestinale, La Havane n'avait connu aucune de ces manifestations monstres qu'affectionnait le leader cubain, et auxquelles la participation populaire était quasi-obligatoire.

Dans la Cuba de 2008, les «apagones», les interminables coupures d'électricité à répétition, se sont faits plus rares et plus courts, les autobus chinois Yutong flambant neufs sillonnent les rues, tandis que les ouvriers s'affairent à réparer les rues ou les canalisations d'eau: autant de programmes lancés sous Fidel Castro, mais qui prennent de la visibilité.

«Les transports se sont améliorés. Un peu, mais ils se sont améliorés. Pour le reste, non, c'est pareil. Celui qui travaille, il mange, mais il ne peut rien faire d'autre», dit Nancy Gutierrez, une employée de 57 ans.

La livre de porc, indicateur-clé des ménagères, qui consacrent 80% de leur budget à l'alimentation, est toujours à 25 pesos (un dollar): «Elle est à ce prix-là depuis plus de 10 ans et ça va continuer», assure José Benito, un boucher de 65 ans du marché de Marianao.

Chère, bien que lourdement subventionnée, la vie quotidienne reste difficile, y compris avec la «révolution énergétique» lancée il y a trois ans: «Ils nous ont enlevé le gaz et nous ont donné à la place des réchauds électriques. Mais pour beaucoup de gens, c'est un problème: comment on les répare, ces trucs-là ? Et comment on fait quand il n'y a plus d'électricité ?», demande-t-elle.

«Moi, je trouve que c'est pire. La seule bonne chose, c'est quand ils ont permis la vente des DVD et toutes ces choses. C'était cher, mais du jour au lendemain, il n'y en avait plus. Pour le reste, tout est pareil», dit Georbis Gonzalez, un maçon de 34 ans, faisant allusion aux mesures de Raul Castro autorisant, en mars, la vente des téléphones portables, ordinateurs et matériels électro-ménagers.

Des changements, Pedro Nunez, un gardien de parking qui touche 325 pesos par mois, dit n'en avoir pas vu: «Quelques améliorations, si: je peux faire comme un étranger, aller dans un hôtel, louer une voiture... Mais pour les prix ! Aïe ! Désastre. Mes 30 pesos d'augmentation du mois dernier, ils filent, on me retire d'une main ce qu'on me donne de l'autre», dit-il.

Professeur d'université, âgée d'une cinquantaine d'années, Maria Elena lâche, désabusée: «C'est l'inertie. On a l'impression qu'il y a beaucoup de changements, mais en fait, non, la réalité, c'est l'inertie», dit-elle.