Lorsque Nada a entendu sonner à tue-tête les cloches des églises à 3h du matin, elle a su que tout était fini, qu'elle devait partir. Laisser sa vie derrière soi.

«Les prêtres ont prévenu les habitants qu'il fallait immédiatement quitter la ville. Nous avons juste eu le temps de prendre quelques économies, des vêtements», raconte l'ancienne directrice d'école de 65 ans.

Les cloches sonnent en cette nuit du 6 août, car les combattants de l'EI sont sur le point de pénétrer dans Qaraqosh, la plus grande ville chrétienne d'Irak. Ils l'encerclent depuis un mois, mais ont été repoussés par les peshmergas kurdes venus en renfort. Jusqu'à ce que ces derniers soient forcés d'abandonner leurs positions.

Qaraqosh ne se situe qu'à 30 km de Mossoul, deuxième plus grande ville d'Irak, et «capitale» de l'EI dans le pays. En pleine nuit, Nada et son fils filent avec quatre autres personnes en voiture jusqu'à Erbil, au Kurdistan irakien. D'autres fuient en minibus, certains à pied. C'est la panique.

«Ma cousine et son mari n'ont pas pu fuir la ville avant l'arrivée de l'EI. Depuis nous n'avons plus eu aucune nouvelle d'eux», poursuit Nada, la gorge serrée. Elle reste avec son fils une dizaine de jours au Kurdistan avant de rejoindre Basma, une autre de ses filles, à Bagdad, puis de s'envoler pour Beyrouth.

Depuis les premières offensives de l'EI dans le nord-est de l'Irak l'été dernier, près de 7000 réfugiés se sont enregistrés au Liban au Haut commissariat aux réfugiés (HCR). Ils s'ajoutent à 8000 réfugiés qui ont déjà fui les violences ces dernières années. Les statistiques de l'ONU ne comptabilisent pas ces réfugiés selon leurs religions, il s'agirait en majorité de chrétiens.

«Depuis 10 ans, les chrétiens sont visés, des églises sont détruites, mais c'est la première fois en 2000 ans d'histoire qu'ils sont expulsés de régions entières. Les djihadistes ne leur ont donné que trois options: se convertir à l'Islam, payer l'impôt islamique, ou fuir en abandonnant leurs propriétés, qui sont ensuite réquisitionnées», dénonce le père irakien Denha Youssef, qui coordonne l'aide aux réfugiés au Liban.

Peu d'aide de l'ONU

La plupart des Irakiens arrivés au pays du Cèdre reçoivent peu d'aide des Nations unies, déjà très sollicitées avec plus de 1,1 million de réfugiés syriens. Ce sont les associations et les églises locales, en particulier chaldéennes et assyriennes, qui organisent des distributions de nourriture, aident à payer les loyers.

Par un froid matin d'hiver, Sivan, 27 ans, est venu chercher quelques vivres - du riz, des lentilles, des boîtes de conserve - à la cathédrale Saint-Raphaël, dans la banlieue de Beyrouth. «Nous nous sentons en sécurité au Liban, car la communauté chrétienne est forte, mais notre situation économique est dramatique. La vie est très chère ici», explique cet ancien infirmier originaire de Batnaya (près de Mossoul).

«Nous espérons rester au Liban quelques mois, et obtenir l'asile politique aux États-Unis où vit l'un de mes oncles. Il est impensable de retourner dans notre pays. Pour l'EI, les chrétiens sont des kuffar, des infidèles, qui n'ont plus leur place», affirme le jeune homme.