Un gouverneur républicain boudé par son propre parti et qui se présente comme sénateur indépendant. Un démocrate afro-américain, le seul en lice dans tous les États-Unis ce soir, qui sera vraisemblablement battu. Et un républicain chouchou du mouvement Tea Party, que La Presse a suivi dans son fief de Miami, en Floride. Depuis 2000, cet État a fait des courses électorales haletantes sa marque de commerce. Tout est en place ce soir pour une nouvelle démonstration.

La nuit dernière, Aurelio Hernandez a très peu dormi. Il dort horriblement mal en fait depuis quelques jours, dans l'attente du résultat des drôles d'élections qui mobilisent la Floride aujourd'hui. «Je crois que les communistes veulent diriger le monde. Les socialistes comme Obama veulent vider le pays de tous les gens riches, ils détestent la liberté, ils détestent les États-Unis.»

Exilé de Cuba en 1980, il s'affiche fièrement aujourd'hui comme patriote du Tea Party. À l'instar de millions de Floridiens, selon les sondages, il a choisi son champion, Marco Rubio, étoile montante de la droite américaine. Ses yeux brillent quand il le voit sortir d'une grosse Lincoln blanche, dans un centre commercial de la banlieue de Miami. «Lui, il va garder la liberté ici.»

Un vétéran journaliste de la station locale de NBC hoche la tête. «Ils sont fous, ces gens du Tea Party. Heureusement que Rubio prend ses distances.»

Fils d'immigrés cubains - ils sont 650 000 sur 4 millions d'habitants dans la grande région de Miami -, M. Rubio a causé une commotion le printemps dernier en tassant de la course à l'investiture républicaine le gouverneur de la Floride, Charlie Crist. Le plus récent sondage accorde une légère avance à Marco Rubio, 42% des répondants contre 35% à Charlie Crist, républicain modéré qui se présente comme indépendant. Le candidat démocrate, Kendrick Meek, ne récolte que 15% des intentions de vote.

L'arme décisive de Marco Rubio: le mouvement Tea Party, auquel il n'adhère pas officiellement mais dont il a su canaliser la grogne. Un exploit d'équilibriste qui n'est pas sans risque, et qui lui a valu de la part de son rival Charlie Crist l'étiquette - injuste - de candidat de l'extrême droite.

Le long voyage de Rubio

Hier, les trois ont mis fin à leur campagne par un tourbillon d'activités qui leur a fait quadriller la Floride en moins de 24heures. C'est à Hialeah, banlieue anonyme de Miami, que Marco Rubio a réservé sa dernière activité publique. Il fait chaud et humide, près de 30 ºC sous des pluies intermittentes torrentielles. Le candidat républicain est pourtant frais comme une rose, entre d'un pas vif dans un petit local commercial surchauffé et distribue poignées de main et embrassades. Cet énergique politicien de 39 ans, beau garçon, passe de l'anglais à l'espagnol dans la même phrase, écoute patiemment les confidences d'une vieille dame d'origine cubaine et blague avec les journalistes.

Il est pourtant en campagne depuis 21 mois. On lui prédit la vice-présidence en 2012.

Une quarantaine de partisans le dévorent des yeux et applaudissent à tout rompre à ses réparties. «Ç'a été un long voyage, une expérience qui rend humble, confie-t-il aux journalistes qui l'assaillent. L'important, c'est le message, et je suis fier que mon message aujourd'hui soit le même qu'il y a 21 mois, quand j'avais 35 points de retard dans les sondages.»

Son message, essentiellement: juguler la dette en sabrant les budgets fédéraux de 10%, créer de l'emploi et resserrer les frontières. «Washington est brisé, et les deux partis sont à blâmer», souligne-t-il.

Le mouvement Tea Party, sur lequel il surfe habilement, est «mal compris», assure-t-il. «C'est une expression de tous les Américains qui sont fatigués de la politique habituelle. Ils sont en colère contre les deux partis. Ce qu'ils veulent, c'est une voix sincère avec de vraies idées qui va se frotter à ces problèmes et trouver une solution.»

Étudiante en botanique à l'Université de Miami, Alicia Salvato met les points sur les i dès qu'on lui demande pourquoi elle appuie Marco Rubio. «Je ne suis pas une redneck, il n'en est pas un non plus. Il est le seul qui se préoccupe vraiment de nos programmes sociaux, quand il veut éliminer la dette. Et il a ce... petit quelque chose qui fait qu'on le croit, qu'il est sincère.»