L'interdiction des Frères musulmans et le gel de leurs avoirs risquent d'être lourds de conséquences pour l'Égypte, des membres de la confrérie pouvant envisager un recours à la violence face à la volonté des autorités de l'éradiquer, estiment les experts.

Depuis début juillet, Mohamed Morsi, le président issu de ses rangs, a été destitué, les militants les plus virulents sont morts dans la répression qui a suivi, ses chefs ont été placés en détention. Et la justice a interdit lundi les activités des Frères et confisqué leurs biens.

Pourtant, ce jugement pourrait ne pas être le point final pour la confrérie dont les centaines de milliers de militants sont rodés à l'action de terrain et dont l'organisation opaque s'est forgée et fortifiée à l'épreuve de la clandestinité.

«Interdire les Frères musulmans ne va pas, dans les faits, éradiquer le mouvement», affirme ainsi à l'AFP Rabab al-Mahdi, professeur de sciences politiques à l'Université américaine du Caire.

«À chacune des précédentes interdictions, ils ont gagné en popularité et étendu leur réseau».

Créée en 1928 comme une association de bienfaisance, la confrérie, qui s'est ensuite donnée pour but l'instauration d'un État islamique, a en effet été interdite durant des décennies. Mais, après la chute en 2011 de Hosni Moubarak dans le tumulte du Printemps arabe, le parti politique qu'elle a créé - pour la première fois de son histoire - a remporté en quelques mois les législatives puis la présidentielle.

Le jugement «ne va pas faciliter les arrestations de membres des Frères, c'était déjà le cas», note Heba Morayef, directrice de Human Rights Watch pour l'Égypte. «La véritable question est celle du gel des avoirs», qui va frapper de plein fouet leurs importants réseaux notamment d'écoles et d'hôpitaux, estime-t-elle, en notant que la décision de justice s'applique à tous les groupes issus ou financés par la confrérie.

Ces réseaux sont une des clés du mouvement, selon Ashraf al-Sherif, chercheur associé au Carnegie Endowment for International Peace, qui souligne que les membres du mouvement sont liés à la fois par l'idéologie et par des liens économiques et sociaux puissants.

Le jugement vise «avant tout à briser la structure de l'organisation», explique Mme Morayef à l'AFP.

Néanmoins, souligne Mme Mahdi, en raison de son organisation opaque, il est difficile de mesurer l'étendue des dégâts infligés à la confrérie.

Les Frères eux-mêmes ont affirmé lundi que cette décision «n'affecterait pas l'organisation» et qu'ils resteraient «présents sur le terrain».

«Les Frères musulmans sont une partie de la société égyptienne, les décisions judiciaires entachées de corruption et politiques ne peuvent rien y changer», ont-ils martelé.

Mais selon le politologue Hassan Nafaa, le jugement de lundi «pourra avoir des conséquences dangereuses», même s'il faut encore «attendre la décision finale», les Frères musulmans pouvant encore faire appel.

Dans un pays où la question de la justice sociale - principale revendication de la révolte de 2011 - n'a toujours pas été réglée, Mme Mahdi affirme observer aujourd'hui «une montée, soit de forces révolutionnaires, soit d'islamistes radicaux». «Les gens se sont affranchis, il leur faut une nouvelle alternative sinon ces jeunes, frustrés, pourraient se tourner vers le radicalisme», prévient-elle.

La dispersion dans un bain de sang des militants pro-Morsi au Caire qui a fait des centaines de morts le 14 août a servi de détonateur pour les membres de la confrérie «qui penchaient déjà vers le radicalisme», écrit de son côté M. Sherif.

Les opérations violentes des forces de l'ordre «ont renforcé les affirmations des extrémistes qui assurent qu'il est inutile de passer par la voie politique pacifique et que le régime anti-islamiste est excluant et déterminé à exterminer tous les islamistes», estime-t-il. «Dans cette situation, la violence est la seule solution envisagée».