Pendant plus de 40 ans, l'homme fort de Tripoli a défié les leaders occidentaux, dont huit présidents américains, et s'en est sorti relativement indemne.

Son maintien au pouvoir pendant tout ce temps s'explique, selon des experts de la géopolitique, et son instinct de survie pourrait lui permettre de se sortir de la mauvaise situation où il se trouve présentement.

Comment les États-Unis et leurs alliés peuvent-ils transiger avec Mouammar Kadhafi, après avoir exigé sa démission, avoir promis leur collaboration à l'implantation d'une zone d'interdiction aérienne et avoir exprimé leur solidarité avec les rebelles?

Avec beaucoup de prudence, semblent indiquer les représentants de Washington.

«Il s'agit d'une situation changeante. Nous n'allons pas agir ou être impressionnés par des mots. Nous voulons voir des actions sur le terrain, et ce n'est pas aussi évident qu'elles surviendront», a affirmé la secrétaire d'État Hillary Clinton.

Le fait que Mouammar Kadhafi ait entretenu des relations houleuses avec plusieurs présidents américains, dès le mandat de Richard Nixon, prive Barack Obama d'informations pour naviguer efficacement à travers cette crise diplomatique. D'un côté, il ne doit pas sembler vouloir intervenir dans un autre pays arabe, au risque de s'attirer les foudres de cette communauté, et d'autre part il fera l'objet de critiques s'il n'appuie pas ouvertement les forces rebelles.

«Ce qui guide ses décisions, c'est la suite des choses si une zone d'exclusion aérienne ne fonctionne pas», a évalué Aaron David Miller, un spécialiste du Moyen-Orient qui a agi en tant que conseiller auprès de six secrétaires d'État américains.

«Je crois que la capacité de survie de Mouammar Kadhafi n'a rien à voir avec les États-Unis. Si nous avons eu une quelconque influence, c'est de le crédibiliser en le diabolisant. Jusqu'à un certain point, nous avons joué son jeu», a affirmé M. Miller, qui travaille maintenant pour le Centre Woodrow Wilson, un laboratoire d'idées.

Le vote du Conseil de sécurité pour autoriser une action militaire et l'imposition d'une zone d'exclusion aérienne a déclenché une déclaration de cessez-le-feu de la part de Tripoli.

Mais après des semaines de violence, les rebelles qui luttent contre le régime Kadhafi sont sceptiques et affirment que les bombardements se poursuivent malgré les déclarations de façade. Ces doutes semblaient aussi partagés par Hillary Clinton et d'autres représentants américains.

Michael O'Hanlon, un expert en relations internationales à l'institut Brookings, a affirmé croire qu'«Obama a eu un choix fondamentalement différent dans sa relation avec Mouammar Kadhafi que n'importe quel autre président avant lui».

Des opérations militaires contre la Libye «auraient le potentiel d'affecter fondamentalement la nature du mouvement de révoltes dans le monde arabe», a-t-il estimé.

«La conclusion de cette situation affectera tous les événements qui se déroulement dans cette région.»

La tumultueuse relation entre Mouammar Kadhafi et l'Occident s'est entamée en 1969, lorsque celui qui était alors un jeune officier libyen a renversé le roi Idris, aux rênes d'un gouvernement fragile. Rapidement, il expulsait les troupes américaines et britanniques du territoire et obtenait des prix plus avantageux pour ses exportations de pétrole.

Richard NIxon

Inquiet des relations entre Tripoli et Moscou, le président américain de l'époque, Richard Nixon, a tenté d'isoler Kadhafi en augmentant l'assistance militaire américaine à l'Arabie saoudite et à l'Iran, deux alliés pendant la Guerre froide.

Cette stratégie a échoué. En 1973, les deux pays se sont joints au boycott pétrolier avec leurs voisins arabes afin de punir Washington pour son appui à Israël pendant la guerre du Kippour. Peu après, le régime du Shah tombait à Téhéran et était remplacé par un gouvernement islamiste.

Au cours des années 70, Tripoli a fourni des armes, de la formation et un repère à plusieurs groupes terroristes, dont les Brigades rouges italiennes et l'Armée républicaine irlandaise.

Jimmy Carter

À la même époque, le président Jimmy Carter dénonçait Kadhafi et le qualifiait de «putois» et tentait de garder ses distances. Mais, dans un épisode embarrassant pour le président, son frère Billy faisait trois voyages en Libye, obtenait un prêt controversé et était même enregistré comme agent de Tripoli.

Ronald Reagan

Peu après son entrée en fonction, en 1981, Ronald Reagan expulsait les diplomates libyens de Washington après la diffusion d'information selon lesquelles des équipes de d'assassins ciblaient les diplomates américains. Ronald Reagan avait alors qualifié Kadhafi de «chien enragé du Moyen-Orient».

En 1986, M. Reagan a fait bombardé le quartier général du dirigeant pour répliquer contre un attentat à la bombe perpétré contre une boite de nuit que fréquentaient des soldats américains, en Allemagne. Plus de 100 personnes ont été tuées, dont la fille adoptive de Kadhafi.

En 1988, à la fin des deux mandats de Ronald Reagan, le vol 103 de la Panamerican explosait au-dessus de Lockerbie, en Écosse, tuant 270 passagers dont plusieurs américains. Des années plus tard, Tripoli acceptait sa responsabilité dans l'attaque et versait des compensations monétaires.

George Bush

Mouammar Kadhafi a par la suite tenté de charmer le président George Bush, le félicitant pour son sérieux dans sa vision du Moyen-Orient. Mais le président américain n'a pas été impressionné par ce discours et a prolongé les sanctions de Ronald Reagan contre le régime.

George W. Bush

Après avoir joué le rôle de paria international pendant 30 ans, Mouammar Kadhafi a effectué un virage à 180 degré en 2003, après l'invasion américaine de l'Irak. Craignant que son pays soit le prochain sur la liste de Washington, l'homme fort de Tripoli a accepté de renoncer à ses programmes de développement d'armes nucléaires et chimiques, en plus de cesser de financer le terrorisme. En 2008, Washington et Tripoli rétablissaient des relations diplomatiques complètes.

Suivant l'exemple de George W. Bush, des leaders européens ont aussi courtisé ouvertement Mouammar Kadhafi. Le président français lui a même permis de monter sa tente à Paris, alors que Silvio Berlusconi lui offrait une visite avec tous les honneurs. Le premier ministre britannique Tony Blair s'est aussi rendu en Libye en 2004 pour rencontrer en personne le dirigeant.

Le commerce fleurissait. Les États-Unis et l'Europe vendaient des milliards de dollars d'équipements militaires et paramilitaires à Tripoli jusqu'en 2010.