La Libye est au bord de l'effondrement. Le Liban est sans président. La Syrie s'enlise dans la guerre civile. Et en Irak, les combattants islamistes ont fait cette semaine des avancées stupéfiantes. Les évènements se précipitent dans le monde arabe. La Presse dresse le nouvel état des lieux dans cette région du monde où guerres religieuses, instabilité et attentats secouent encore les populations.

SYRIE

Population: 18 millions

74% de musulmans sunnites, 13% de musulmans chiites

Plus de 150 000 morts. Six millions et demi de déplacés. Des infrastructures détruites, une population terrorisée, une économie en lambeaux. Après trois ans de guerre civile, la Syrie demeure la crise la plus aiguë du monde arabe. Et aucune solution ne pointe à l'horizon.

«C'est l'horreur, résume Rex Brynen, professeur de sciences politiques à l'Université McGill. La perspective de voir la guerre prendre fin par la victoire complète de l'une des parties n'est pas encore là.»

Les troubles ont commencé en 2011 quand les troupes du président Bachar al-Assad ont violemment réprimé des manifestants. Puis tout a dégénéré. Aujourd'hui, deux camps s'opposent. Le premier est formé des troupes de Bachar al-Assad, principalement armées par la Russie et soutenues par l'Iran et le Hezbollah libanais, avec un certain soutien de la Chine.

L'autre compte une pléiade de groupes rebelles sunnites (Front islamique, Front al-Nosra, l'État islamique en Irak et au Levant), dont plusieurs liés à Al-Qaïda. Certains se battent aujourd'hui entre eux, formant une véritable «guerre dans la guerre».

Pendant que la population fuit le pays, les combattants étrangers, eux, y affluent pour soutenir chaque camp.

«La Syrie est devenue le champ de bataille ouvert qui oppose les chiites et les sunnites de tous les pays», résume Sami Aoun.

Bachar al-Assad semble actuellement avoir le dessus.

«Mais ça demeure réversible, et il y pourrait lui falloir 10 ans pour s'imposer, dit Rex Brynen, de McGill. Dans tous les cas, on est très loin du jour où la Syrie ressemblera à un pays normal.»

IRAK

Population: 33 millions

60 à 65% de musulmans chiites, 32 à 37% de musulmans sunnites

La nouvelle est tombée comme une bombe mardi: l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), sans doute le groupe de combattants islamistes le plus radical de tout le Moyen-Orient, s'est emparé de Mossoul, deuxième plus grande ville d'Irak.

La nouvelle montre à quel point le gouvernement du premier ministre Nouri al-Maliki a perdu le contrôle de l'Irak, un pays qui va de mal en pis depuis la chute de Saddam Hussein en 2003.

«La reconstruction de l'Irak a largement échoué», constate tristement Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke.

Nouri al-Maliki, un chiite, s'est mis à dos les sunnites du pays, qui forment environ 35% de la population.

«À tort ou à raison, l'armée irakienne est perçue par les sunnites irakiens comme une milice chiite plutôt qu'une armée nationale», explique Sami Aoun.

Résultat: comme en Syrie, sunnites et chiites, soutenus par de puissants intérêts internationaux de chaque côté, se livrent maintenant une guerre sans merci.

Selon Sami Aoun, le pays pourrait se retrouver morcelé en plusieurs «mini-États» contrôlés par diverses factions.

«C'est un gros bordel, et qui pourrait avoir des conséquences sur le terrorisme international», dit Rex Brynen.

LIBAN

Population: 5,9 millions

27% de musulmans sunnites, 27% de musulmans chiites, 40% de chrétiens

Mercredi prochain, le Parlement du Liban se réunira pour une septième fois en moins d'un mois. Objectif: tenter d'élire un président, un exercice qui a déjà échoué six fois depuis l'expiration du mandat de l'ex-président, Michel Sleimane, survenue le 25 mai dernier.

L'impasse politique au Liban a été qualifiée de «très inquiétante» par le secrétaire d'État américain Jonh Kerry.

Les proportions exactes sont sujettes à débat, mais le Liban est divisé en trois groupes (chrétiens, musulmans chiites et musulmans sunnites) au poids démographique comparable. Le poste vacant vient menacer le précaire équilibre entre eux.

«À l'heure où la rivalité entre sunnites et chiites bat son plein en Irak, en Syrie, au Yémen et ailleurs, la vacance à la présidence fera entrer les sunnites et les chiites dans un autre choc», prédit Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke.

Le jeu d'influence dépasse les frontières du Liban. L'Arabie saoudite, du côté sunnite, et l'Iran, du côté chiite, pèsent de tout leur poids dans la joute politique libanaise. Et la Syrie, qui a longtemps tiré les ficelles au Liban, dicte encore les enjeux. Les partis politiques sont divisés entre ceux qui soutiennent le régime de Bachar al-Assad et ceux qui y sont hostiles.

Les spécialistes s'attendent toutefois à ce que la crise reste politique.

«Le Liban est au bord de la catastrophe, il y aura certainement des attentats, mais personne n'a intérêt à revivre une guerre civile. Je crois qu'au bout du compte, le Liban ne basculera pas», dit Rex Brynen, de McGill.

LIBYE

Population: 6,2 millions

97% de musulmans sunnites

Un gouvernement qui ne contrôle pas grand-chose. Une multitude de milices armées qui se disputent les ressources du pays. Des combattants islamistes qui font la pluie et le beau temps. Et à travers tout ça, un ancien général de Mouammar Kadhafi, Khalifa Haftar, qui promet de mater les islamistes avec son autoproclamée «Armée nationale libyenne».

«Il y a de tout et son contraire en Libye actuellement. C'est une pagaille immense, et le pays n'est pas loin de la guerre civile», dit Rex Bryen, de l'Université McGill.

Pas de doute: la transition suivant la chute de l'ancien dictateur Kadhafi est difficile. Pendant un mois, ce printemps, le pays a été plongé dans un étrange imbroglio politique, deux groupes affirmant avoir gagné les élections: celui d'Ahmed Miitig, appuyé par les islamistes, et celui du président sortant Abdallah al-Theni. Le 9 juin, la cour a finalement déclaré l'élection de Miitig inconstitutionnelle.

«C'est un revers important pour les islamistes, mais l'issue de la bataille n'est pas encore finale», commente Sami Aoun, de l'Université de Sherbrooke.

Le gouvernement actuel en est un de transition, et de nouvelles élections sont prévues le 25 juin.

ÉGYPTE

Population: 87 millions

88 à 89% de musulmans sunnites, 1 à 2% de musulmans chiites

De la naïveté? Il y en avait certainement parmi les Égyptiens lorsqu'ils ont exhorté l'armée à renverser le gouvernement certes corrompu et inefficace, mais tout de même légitimement élu, de Mohamed Morsi. C'était l'été dernier. Un an plus tard, le général Abdel Fattah al-Sissi qu'ils ont porté au pouvoir gouverne le pays de façon si autoritaire que les spécialistes n'hésitent plus à décrire l'Égypte comme une dictature.

Sissi est parti en croisade contre les Frères musulmans, le parti de Morsi, dont les partisans écopent de condamnations à mort et de peine d'emprisonnement au terme de procès bâclés. Les journalistes et manifestants sont aussi sévèrement réprimés. L'organisation Human Rights Watch estime que l'Égypte vit sa pire crise des droits de l'homme depuis les années 60.

«Cela a un effet, c'est de radicaliser les islamistes», déplore Rex Brynen, de l'Université McGill, qui rappelle que l'Égypte est le pays arabe le plus peuplé du globe et qu'il a une influence immense sur la région. L'expert prévoit peu de changements: Sissi, qui vient d'être réélu au terme d'un scrutin qui ne laissait aucune chance à ses opposants, devrait rester au pouvoir. Et il assiéra sa légitimité en combattant des groupes islamistes... qu'il contribue à radicaliser.

Conflit israélo-palestinien: quand les voisins font de l'ombre

Le conflit israélo-palestinien a longtemps été le point central de l'attention dans le monde arabe. Mais la multiplication des points chauds au Moyen-Orient a pour effet de pousser la question israélo-palestinienne dans l'ombre... tout en l'influençant en coulisses. Voici trois effets de l'instabilité régionale sur les relations entre Israéliens et Palestiniens.

Le conflit est éclipsé

Avec la Syrie en pleine tragédie, les combattants qui déstabilisent l'Irak et l'Égypte qui verse dans la dictature, il se passe une drôle de chose au Moyen-Orient: le conflit israélo-palestinien, jadis le grand déclencheur des passions dans la région, n'est plus au coeur des préoccupations.

«La cause palestinienne a toujours une forte charge symbolique. Mais avec les voisins qui sont soit dans des transitions importantes, soit dans des turbulences très graves, les esprits et les sentiments sont aujourd'hui tournés ailleurs», constate Sami Aoun, politicologue à l'Université de Sherbrooke.

Selon le spécialiste, cette chute d'intérêt contribue à plonger les relations entre Israéliens et Palestiniens dans une «impasse».

«Les efforts et la détermination, actuellement, ne sont tout simplement pas là», dit M. Aoun.

Un nouveau gouvernement palestinien est né

La baisse d'intérêt pour la question israélo-palestinienne ne signifie pourtant pas qu'elle n'évolue pas, comme le montre la formation d'un nouveau gouvernement palestinien.

Formé le 23 avril dernier, ce gouvernement d'union compte des ministres provenant tant de la bande de Gaza que de la Cisjordanie. Ces deux régions étaient gouvernées par des entités séparées depuis 2007 (le Hamas à Gaza, l'Autorité palestinienne en Cisjordanie).

Les spécialistes voient ce nouveau gouvernement comme une conséquence directe des bouleversements qui touchent le Moyen-Orient.

«Le Hamas est un mouvement des Frères musulmans, qui vivent aujourd'hui une chute lamentable, en particulier en Égypte, explique Sami Aoun. Cela a isolé le Hamas et l'a poussé à s'unir à Mahmoud Abbas (le président de l'Autorité palestinienne).»

Israël invoque les troubles pour justifier la ligne dure

Le regain de violence qui oppose chiites et sunnites en Syrie, en Irak, au Yémen et ailleurs a une autre conséquence: il renforce le réflexe d'Israël d'adopter la ligne dure.

«Quand Benyamin Nétanyahou (le premier ministre d'Israël) regarde autour de lui les monstruosités et la barbarie qui se font entre les musulmans eux-mêmes, il se dit: pourquoi je tendrais la main? Je vais me faire bouffer», illustre Sami Aoun.

«Il est maintenant facile de dire: la région est dangereuse, les barbares sont aux portes, renchérit Rex Brynen, de McGill. Pour Israël, ça justifie de ne faire aucun compromis.»

Sunnites et chiites: des frères qui s'entredéchirent

Ils partagent la même religion. Leur livre sacré est le Coran. Mais les sunnites et les chiites s'entredéchirent néanmoins avec violence à plusieurs endroits sur la planète, comme en font foi les conflits actuels en Syrie et en Irak. Des tensions entre sunnites et chiites existent aussi notamment au Pakistan, au Yémen et à Bahreïn.

La divergence entre sunnites et chiites est historique : lorsque le prophète Mahomet est mort sans désigner de successeur, au septième siècle, les musulmans ne se sont pas entendus sur qui devait lui succéder.

Avec le temps, les questions ethniques et politiques se sont ajoutées aux divergences religieuses. Aujourd'hui, bien des spécialistes considèrent que la division entre sunnites et chiites est davantage politique que religieuse. Explications.

Sunnites

Ils ont choisi Abou Bakr, un proche compagnon de Mahomet, comme successeur au prophète Mahomet.

1,4 milliard : nombre approximatif de sunnites dans le monde, soit près de 90 % de tous les musulmans.

Les principaux pays à majorité sunnite sont l'Égypte, l'Indonésie, le Bangladesh et le Pakistan.

Les puissances sunnites qui influencent le cours des choses sont l'Arabie saoudite, l'Égypte et le Qatar. Les groupes terroristes djihadistes comme Al-Qaïda sont aussi d'allégeance sunnite.

Chiites

Ils considèrent Ali, le gendre de Mahomet, comme successeur du prophète.

175 millions : nombre approximatif de chiites dans le monde, soit un peu plus de 10 % des musulmans.

Les principaux pays à majorité chiite sont l'Iran, l'Irak, l'Azerbaïdjan et Bahreïn.

La grande puissance chiite qui influence le cours des choses est l'Iran. Ses proches alliés sont la Syrie, un pays à majorité sunnite, mais dirigé par des chiites, et le Hezbollah, un parti chiite libanais considéré comme un groupe terroriste par Washington.