Le Yémen basculait dans le chaos avec des combats de rue ayant fait près de 40 morts entre forces du président Ali Abdallah Saleh et combattants tribaux mercredi à Sanaa et des heurts dans la ville sudiste de Zinjibar, otage d'extrémistes armés.

Après quatre mois de contestation populaire réprimée dans le sang par le régime de M. Saleh qui refuse de quitter le pouvoir, la révolte a pris le 23 mai un nouveau tournant avec le début de combats armés meurtriers à Sanaa entre forces fidèles au président et un puissant chef tribal rallié à l'opposition.

Ces combats, suivis dans le sud du pays d'affrontements entre l'armée et des extrémistes, ont éclipsé le mouvement de contestation populaire à Sanaa, où seuls quelques centaines d'irréductibles campaient encore sur la place du Changement, selon le photographe de l'AFP.

Les habitants d'Al-Hassaba, quartier où se concentrent les heurts dans le nord de la capitale, ont passé une nouvelle nuit blanche en raison des combats aux armes de tous calibres à la faveur desquels les hommes de l'influent chef tribal Sadek al-Ahmar se sont rapprochés du siège de la présidence.

Trente-neuf personnes ont été tuées, selon un bilan obtenu par l'AFP auprès de deux hôpitaux de Sanaa, la plupart étant des membres des forces fidèles à M. Saleh ou des combattants de cheikh Sadek.

Les affrontements avaient repris mardi autour du domicile de cheikh Ahmar et près de bâtiments publics, après une trêve de quatre jours. «Toute la nuit, nous avons entendu des ambulances évacuer des victimes», a raconté un habitant.

Des combattants de cheikh Ahmar ont pris le contrôle d'un immeuble non loin de la présidence, selon le site internet du ministère de la Défense, après avoir occupé le siège du Congrès Populaire Général, le parti de M. Saleh.

Dans le même temps, un camp de la 4e brigade de l'armée situé près du siège de la radio-télévision a été touché de plein fouet par plusieurs obus, de même que le siège du ministère de l'Intérieur, cible de roquettes antichar, selon les témoins.

Des renforts de la Garde républicaine, unité d'élite fidèle au chef de l'État, ont été en outre acheminés à Al-Hassaba dont les accès étaient bloqués par des barrages des deux camps, ont-ils ajouté.

Jusqu'à présent, les affrontements sont limités à ce quartier, mais la nervosité a gagné le reste de la capitale, provoquant un début d'exode des habitants.

«Je pars vers mon village, plus au sud. Le président et la famille des Ahmar ont détruit ce pays», a affirmé une femme voilée de noir, traînant ses cinq enfants et portant des sacs en plastique remplis de vêtements.

La plupart des magasins à Sanaa étaient fermés alors que les files s'allongeaient devant les stations d'essence en raison d'une pénurie. Le bidon d'essence atteignait au marché noir 5000 riyals (environ 23 $US), plus du triple de son prix habituel.

Les autorités ont accusé les forces du général Ali Mohsen al-Ahmar, rallié à la contestation et sans lien de parenté avec le chef tribal, de prendre part aux combats au côté de ce dernier. Les troupes du général dissident contrôlent le nord et l'ouest de Sanaa, les pro-Saleh tenant le reste de la ville.

Face à la situation chaotique, l'Italie a annoncé la fermeture temporaire de son ambassade au Yémen et le rapatriement de ses ressortissants présents dans ce pays, où on est toujours sans nouvelles de trois Français portés disparus le 28 mai et dont l'enlèvement n'a pas été revendiqué.

Dans le sud du pays, la ville de Zinjibar était le théâtre d'affrontements entre ses nouveaux occupants, des extrémistes, et des militaires qu'ils encerclent.

«Zinjibar est une ville fantôme. La population a fui, il ne reste plus que des hommes qui veulent protéger leurs maisons», a affirmé à l'AFP Awad al-Matari, un ingénieur venu se réfugier à Aden.

Selon lui, les hommes armés qui ont pris la ville dimanche et se réclament d'une organisation inconnue, les «Partisans de la charia», «se préparent y à proclamer un émirat islamique».

La situation était en revanche calme à Taëz, où sept manifestants ont été tués mardi au lendemain d'un bain de sang dans cette grande ville du sud-ouest qui aurait fait plus de 50 morts.