Des jeunes organisent une partie de football devant des adultes partageant une tasse de café: sur la plage de Léogane lundi midi, les habitants vaquent à leurs occupations quotidiennes malgré la menace de l'ouragan Matthew, qui doit arriver en soirée.

«J'ai entendu qu'il allait y avoir du mauvais temps mais on va juste surveiller et l'éviter», explique paisiblement Justindor, qui se protège de la pluie sous une tôle soutenue par des minces branches d'arbres plantées à même le sable.

L'ouragan Matthew, classé en catégorie 4 sur l'échelle Saffir-Simpson qui en compte 5, a été qualifié de «dangereux» par les météorologues américains, qui ont mis en garde contre une «montée des eaux».

Habitant l'île de la Gonâve, au coeur de la baie de Port-au-Prince, Justindor est arrivé quelques heures plus tôt sur le rivage: inconscient du danger, il a parcouru seul 60 kilomètres en mer, malgré l'interdiction de toute activité maritime décrétée samedi par les autorités.

«J'ai attaché mon bateau au mieux que possible», assure Justindor en pointant du doigt un petit voilier en bois amarré par une simple corde. «J'ai plus qu'à attendre: je suis à l'abri ici sur la terre», considère-t-il.

Aucun des habitants présents sur la plage ne croit vraiment que le niveau de la mer puisse monter de deux mètres comme les prévisions l'annoncent.

Située à 80 km à l'ouest de la capitale, la ville de près de 100 000 habitants est régulièrement inondée par de simples averses saisonnières. Aussi les habitants s'inquiètent-ils davantage de l'abondance et de la durée des pluies.

«Si l'eau qui descend le morne arrive dans ma maison, je chercherai à aller chez un voisin ou des amis comme d'habitude», explique Alloude Saint-Vilmé.

«Pas l'argent» pour stocker 

À quelques mètres d'elle, Carnold Siméon a descendu le siège conducteur de sa voiture et se relaxe en écoutant de la musique à la radio de sa voiture.

«Vous savez, quand ils annoncent un cyclone c'est pas forcément vrai: ça dévie toujours» assure-t-il en souriant. «Donc on est là pour observer et vérifier».

Dimanche, il a pourtant en partie écouté la déclaration à la nation du président provisoire Jocelerme Privert, exhortant les habitants des côtes à évacuer.

«Oui, le ciel est complètement fermé par les nuages et il pleut mais y'a que ça! Donc pratiquement, je crois que non, on n'aura pas de problèmes ici», conclut-il avant de remonter le volume de son auto-radio.

Les consignes de précaution sont parvenues jusqu'aux oreilles des habitants de Léogane mais nombre d'entre eux n'ont pas les capacités de les appliquer.

«Je n'ai pas trouvé l'argent pour stocker des provisions comme ils disent dans les messages», déplore Edivson Romulus. A 22 ans, ce chauffeur de taxi-moto n'a aucun moyen d'économiser et vit au jour le jour, sans forcément pouvoir s'offrir un repas quotidien.

Comme ses voisins, Edvison est résigné et il dénonce l'irresponsabilité de l'État.

«C'est beau de nous dire qu'il faut garder de l'eau potable chez nous mais c'est pas gratuit et ils le savent», s'énerve le jeune homme.

Pour alimenter la conversation, son ami, avec qui il partage sa tasse de café, indique que le pays est pauvre, ce qui met immédiatement Edvison dans une colère noire.

«Les autorités peuvent dire qu'elles n'ont pas de moyens pour nous aider mais je crois surtout qu'elles n'ont pas la volonté de le faire», s'exclame-t-il. «Il n'y a rien derrière leurs discours: comme toujours ce sont des belles paroles et après ils vont faire semblant de pleurer pour nous les pauvres».