Après la Grèce, l'Espagne? Fondé il y a un an à peine, Podemos, le parti de gauche anti-austérité et antilibéral dirigé par Pablo Iglesias, charismatique professeur de sciences politiques, domine dans les intentions de vote en Espagne, la quatrième économie d'Europe. Portrait en quatre temps de ce succès qui pourrait bouleverser l'ordre établi au sein de l'Union européenne.

Professeur

Arborant une queue de cheval, pratiquement toujours vêtu d'un polo usé ou d'une chemise sans cravate, Pablo Iglesias, 36 ans, a connu une ascension politique improbable: inconnu il y a à peine un an, le professeur de sciences politiques à l'Universidad Complutense de Madrid domine aujourd'hui dans les intentions de vote des Espagnols. Le mois dernier, au moins 100 000 personnes sont descendues dans les rues de Madrid pour donner leur soutien à Iglesias, quelques jours après la prise du pouvoir du parti de gauche Syriza, en Grèce. «Nous rêvons, mais nous prenons nos rêves au sérieux», a-t-il déclaré devant la foule. Podemos («nous pouvons» en français) se veut «post-idéologique» mais, pour Laurie Beaudonnet, professeure adjointe au département de science politique de l'Université de Montréal, il s'agit d'un parti de gauche. «Ils portent cette idée que le changement peut venir de la société civile, de gens qui sont dans le secteur des services, dans l'éducation, qui ne sont pas des professionnels de la politique», explique-t-elle.

Indignés

En 2011, l'Espagne a commencé à vivre une série de manifestations monstres. Baptisé le «mouvement des indignés», il s'agissait d'une réaction sociale aux coupes du gouvernement dans les services publics et d'un rejet des politiques néolibérales imposées en période de crise économique. «Podemos veut transformer ce mouvement social des indignés en mouvement politique», explique Mme Beaudonnet. Bref, c'est un peu comme si les manifestants du mouvement Occupy Wall Street avaient fondé un parti politique et étaient aujourd'hui en avance dans les sondages sur le Parti républicain et le Parti démocrate, note Mme Beaudonnet. Aux élections de l'Union européenne de l'été 2014, Podemos a réussi à faire élire cinq candidats, dont M. Iglesias. Depuis, le parti se prépare pour les élections nationales, qui auront lieu en décembre 2015.

Changement

Le parti Podemos promet d'offrir un vent de changement aux Espagnols, gouvernés depuis des décennies par les deux principaux partis: le Parti populaire, actuellement au pouvoir et rongé par des scandales de corruption, et le Parti socialiste ouvrier. Les opposants de Podemos rappellent que le leader Iglesias n'a pas d'expérience en politique et qu'il est fasciné par les révolutions bolivariennes en Amérique du Sud, notamment par feu Hugo Chávez. «Face à leur haine, nous sourions», a coutume de lancer Iglesias, qui s'affaire toutefois à renouveler son programme électoral afin de proposer des politiques chères à la classe moyenne, notamment une refonte des politiques économiques conservatrices mises de l'avant par Bruxelles. L'Espagne se remet péniblement de la crise économique: malgré une croissance positive, le taux de chômage y est de 25%.

Impôts

Le mois dernier, le numéro 3 du parti Podemos, Juan Carlos Monedero, s'est retrouvé sur les charbons ardents pour avoir reçu, fin 2013, un paiement de 425 000 euros (607 000$) versé par les gouvernements du Venezuela, de l'Équateur, de la Bolivie et du Nicaragua. M. Monedero n'a jamais caché avoir travaillé comme consultant pour ces gouvernements. Or, il aurait créé une entreprise peu avant de recevoir le paiement, ce qui lui a permis de payer moins d'impôt. Une question délicate pour l'un des dirigeants d'un parti qui promet de s'attaquer à l'évasion fiscale et aux «privilèges des riches». La presse espagnole a rapporté que Monedero a versé 200 000 euros au fisc il y a deux semaines. Le parti a dit que M. Monedero a fait une «déclaration fiscale complémentaire volontaire».