Une foule anxieuse défile au salon de quilles de Natori transformé en morgue, à la recherche de proches dont ils restent sans nouvelles depuis le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars dans le nord-est du Japon. Mais les autorités estiment que de nombreux corps ne seront probablement jamais retrouvés, comme cela a été le cas pour quelque 37 000 disparus dans le tsunami de 2004 en Indonésie.

Le visiteur grimpe le perron de béton et pousse la porte de verre pour pénétrer dans l'Airport Bowling. Il longe alors les listes des morts et les descriptions des cadavres encore non identifiés pour passer dans la morgue de fortune où s'alignent en rangs bien nets les cercueils drapés de satin. Il scrute les visages. Mais il trouve rarement la personne qu'il cherche, et la douleur d'ignorer ce qu'il est advenu d'un proche est certes différente mais peut-être aussi forte que celle de le savoir mort.

«Il devrait y avoir plus de corps», confirme le Sud-Africain Marius Du Toit, à la tête d'une équipe de sauveteurs. Avec ses hommes, il a ratissé les ruines de centaines de maisons dans le port dévasté de Natori, à la recherche des cadavres.

Une semaine et demie après le tsunami qui a rayé de la carte des villes et villages entiers, plus de 9000 corps ont été découverts mais 12 600 personnes restent portées disparues. La police estime que la catastrophe a probablement fait plus de 15 000 morts dans la seule préfecture de Miyagi, où se trouve Natori.

Certains disparus réapparaîtront ailleurs. Ils se trouvent à l'hôpital ou chez des parents, où étaient en vacances. D'autres cadavres seront encore retrouvés au fur et à mesure des opérations de déblaiement des tonnes et des tonnes de gravats et de boue. Mais autorités et sauveteurs estiment qu'on ne saura jamais ce que sont devenus de nombreux autres disparus.

Il y a quelques jours, les sauveteurs dégageaient jusqu'à 50 corps par jours dans la zone de Natori. On commençait à manquer de housses mortuaires. Mais aujourd'hui ce serait plutôt un ou deux par jour. «Nous ne savons pas où ils sont», constate Marius Du Toit.

Le quartier de Yoriage où s'affaire l'équipe du Sud-Africain est celui du maire de Natori, Isoo Sasaki. C'est la vieille ville, établie là des siècles avant que le village de pêcheurs ne se transforme en une ville moderne de 73 000 habitants.

»C'est tellement terrible de trouver le corps d'un être cher, mais ces familles ont peut-être de la chance finalement, beaucoup de gens ne trouveront pas de corps du tout», remarque Isoo Sasaki dans son bureau, où il dort à même le sol depuis le séisme.

En date de lundi, 315 cadavres avaient été identifiés à Natori, alors que plus d'un millier d'habitants étaient encore portés disparus.

Des bâtiments du quartier de Yoriage, il ne reste souvent plus guère que des fondations de béton. Là où l'on a entassé les gravats, ce n'est qu'un amas inextricable de maisons, de bateaux de pêche et de voitures défoncées. Une maison renversée. Un car perché à l'étage d'une autre. Des piliers de béton comme des torsades de réglisse. Cà et là, des incursions absurdes de la normalité dans le désastre: une culotte d'enfant qui sèche à un balcon, un carillon qui tinte dans la brise.

Si l'on regarde ce qui s'est passé en Indonésie après le tsunami de la fin 2004, on constate que sur 164 000 personnes déclarées décédées, 37 000 ont tout simplement disparu, leurs corps probablement emportés dans la mer.

Iskandar (les Indonésiens n'utilisent souvent qu'un nom), un responsable de la gestion de la catastrophe dans la province d'Aceh, a passé plus d'un an à tenter d'établir un bilan fiable des morts et disparus dans son pays. Il pense cependant qu'«il est encore trop tôt pour perdre espoir» pour les disparus du Japon.

Nombre de rescapés japonais ne peuvent même pas encore imaginer que leurs êtres chers pourrait avoir péri dans la catastrophe. Eriko Sato, acupunctrice de 23 ans, a passé le week-end à rechercher une amie dans le village de Kesennuma. «Elle est vivante. Elle est vivante. Elle est vivante, répète-t-elle comme un mantra. Si j'arrête de le dire ou de le penser, peut-être que le pire va arriver».