À La Presse, tout le monde connaît le gardien de sécurité Gilles Sauvé. À l’entrée de la salle de rédaction qui donne aujourd’hui sur le boulevard Saint-Laurent, dans le Vieux-Montréal, il accueille chaleureusement les employés, les visiteurs et les livreurs de son rire contagieux, de ses blagues taquines et de ses expressions colorées depuis 1993.

Debout près d’un cubicule vitré qui cache de nombreuses caméras de surveillance, vêtu d’un chandail de laine noir superposé à une chemise blanche nouée d’une cravate, le soixantenaire raconte avec sa joie de vivre habituelle son quart de siècle passé dans les bureaux de La Presse en savourant une clémentine.

« J’ai commencé par travailler de nuit. Mais on m’a rapidement dit : “non, non, non, Gilles, toi tu t’en viens de jour”, parce que j’avais beaucoup d’entregent. J’aime parler avec tout le monde », met-il de l’avant en souriant, entre deux bouchées d’agrume.

Une qualité essentielle pour le gardien de sécurité des locaux de La Presse, car la mission de Gilles est non seulement de vérifier l’identité de tous les visiteurs, mais également d’accueillir gentiment les vedettes du milieu artistique, les dirigeants du monde des affaires et les acteurs politiques que les journalistes reçoivent en entrevue.

« J’ai rencontré plein de premiers ministres canadiens et québécois! La personnalité qui m’a le plus impressionné, c’est Jack Layton. C’était un homme avec un charisme absolument attachant, le gars, on l’aimait tout de suite, il prenait le temps de t’écouter, de jaser de tout et de rien… », se souvient avec nostalgie celui qui est quatre fois grand-papa.

Eh bien oui, Gilles a déjà discuté de la pluie et du bon temps avec l’ancien chef du Nouveau Parti Démocratique (NPD) à qui l’on doit la vague orange de 2011. Loin d’être timide, le futur retraité peut mettre à l’aise à peu près tout le monde.

« Des fois, les journalistes viennent me voir pour me remercier. Selon eux, ça paraît quand je passe cinq minutes avec une personne avant qu’ils l’interrogent. Ils me disent : “Je lui posais des questions et elle était vraiment détendue” », explique-t-il avec une pointe de fierté dans la voix.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Gilles interrompt systématiquement sa collation santé et le récit de son parcours à La Presse pour échanger avec chaque nouvelle venue qui franchit la porte principale, saluant tout le monde par son prénom. « Ce qui va le plus me manquer, ce sont les employés. On a été 28 ans ensemble, on a vieilli ensemble. J’ai connu Isabelle Hachey et Katia Gagnon quand elles étaient stagiaires », souligne celui qui tirera sa révérence à la mi-avril après avoir traversé deux années difficiles de pandémie. Dans l’édifice de La Presse, on pouvait entendre une mouche voler en raison du télétravail.

Si Gilles est devenu gardien de sécurité dans la trentaine, c’est par hasard : « J’avais commencé au Canadien National quand j’étais jeune et je pensais finir mes jours là-bas. » Or, huit ans après ses débuts à titre de wagonnier dans la compagnie de chemin de fer, il perd son emploi. Son frère le convainc alors d’ouvrir une brasserie avec ses économies dans la ville de Joliette.

« On a fait la fête, des paris de bières, des jeux de fléchettes, mais pas d’argent! », déclare-t-il en rigolant. « Un an demi plus tard, je revenais en ville et je ne savais pas vers quoi m’enligner. J’ai vu qu’il y avait un poste d’agent de sécurité et j’ai posé ma candidature », résume-t-il.

Gilles a connu les grandes imprimantes de journaux, les chutes de distribution, les nombreux camions de livraison, les immenses rouleaux de papier, empilés jusqu’au plafond, au sous-sol de la salle de rédaction. Les yeux brillants, il raconte emporter avec lui de beaux souvenirs à la retraite. Quels sont ses plans, d’ailleurs? « Je vais gagner quelque chose de super important… du temps! Du temps pour penser à ce que je veux faire! », conclut-il.

Bonne retraite, Gilles Sauvé!