Après la mort de son père, notre photojournaliste Martin Tremblay trouve au fond d’une boîte un appareil photographique et quelques photos en noir et blanc. De précieux objets oubliés pendant plus de 65 ans. Cette découverte a mis au jour une série de clichés inédits.

Un témoignage unique

C’est dans une vieille boîte métallique que j’ai découvert l’appareil photo de mon père et une pile de photographies en noir et blanc. Les négatifs, qui semblent n’être jamais sortis de leurs enveloppes Kodak, sont accompagnés de souvenirs d’une vie passée à travailler sur les chantiers de la Baie-James et de la Manicouagan. Mon père ne m’a jamais vraiment parlé de son appareil photo ni montré les clichés qu’il avait réalisés. Le précieux objet est resté caché toute une vie sur une tablette de sa chambre. Les photos que j’ai découvertes montrent la jeunesse de la vallée de la Matapédia, en Gaspésie, au tournant des années 1950. Bien avant René Lévesque, Yvon Deschamps, l’autoroute 20 et la Baie-James ; 1955, c’est le moment où les Québécois préparaient la Révolution tranquille. Il était rarissime de voir à cette époque un jeune posséder un appareil photo et documenter la vie de son village. Le coût de l’achat de l’appareil et des films était très élevé. La série d’images est un témoignage unique.

L’appareil photo

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

L’appareil photo a été fabriqué en Allemagne dans l’Atelier Franka-Kamerawerk.

Mes recherches ont révélé que l’appareil photo a été acheté chez Simpson Sears par commande postale en 1954. Le célèbre catalogue de l’enseigne américaine était populaire dans les familles québécoises. L’appareil photo a été fabriqué en Allemagne dans l’Atelier Franka-Kamerawerk, spécialisé dans la fabrication d’appareils photo bon marché. L’usine était située en zone américaine de l’Allemagne d’après-guerre qui était divisée en deux blocs. L’atelier Franka avait inscrit à l’intention du marché américain une précision au dos du boîtier : « Made in Germany US-Zone ». Le modèle Solida II (Solidarité) utilise un film argentique du format 120 de dimension 2 1/4 x 2 1/4. Un format carré popularisé dans les années 1950. Toute la mécanique de l’appareil se résume à l’extrémité de la chambre photo. La bague d’ouverture, le réglage de la vitesse et la mise au point sont réunis à l’avant, sans électronique.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Portrait du photojournaliste Martin Tremblay en action dans une ruelle à Montréal

Photojournaliste depuis 2002 à La Presse, où il a occupé le poste de directeur photo pendant cinq ans, Martin Tremblay se spécialise dans les projets documentaires à caractère social. Il est reconnu pour ses reportages en terrain difficile. Il a notamment remporté en 2017 et 2019 le prix du meilleur reportage au Concours canadien de journalisme. Il a également été nommé quatre années consécutives au prestigieux concours National Pictures of the Year. Au Québec, il a décroché neuf prix Antoine-Desilets, qui récompensent les meilleures photos de presse. Il a visité l’Ukraine à deux reprises pour témoigner des conséquences humaines de la guerre. Sa couverture de conflits armés, notamment en Afghanistan, a été reconnue par ses pairs.

Une découverte émouvante

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Parmi les photos prises par mon père, j’ai retrouvé des images de la construction du palais de justice d’Amqui, du théâtre Figaro et plusieurs illustrations de la jeunesse gaspésienne de la fin des années 1950.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

Ce sont les premières chansons d’Elvis Presley, sorties en 1955, que chantent mon père et ses amis. En arrière-plan, la résidence et l’atelier de Fortunat Tremblay, cordonnier du village. La maison est toujours habitée par son fils Gaétan.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

Une photo de groupe immortalisant les amis de mon père. Il avait écrit au crayon de plomb les noms de toutes les personnes présentes sur l’image. On peut apercevoir des fanions d’équipes de hockey sur le mur derrière.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

Une jeune fille assise sur son vélo dans une rue d’Amqui en 1955. Les maisons étaient construites en bardeaux de cèdre.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

Un jeune couple prend la pose, assis sur le capot d’une rutilante voiture américaine des années 1950. L’impression photo sur papier est datée de mai 1955.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

Un coin à l’abri des regards, une couverture et une caisse de bière Dow. Une série de quatre images illustrant les ébats amoureux… interdits à cette époque dominée par l’Église catholique.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

Numérisation d’une bande de négatif sur laquelle on peut voir un camion chargé de bois d’œuvre dans la cour de l’usine de sciage de la famille Leblanc. Mon grand-père et mon père ont travaillé pour l’entreprise familiale plusieurs années. L’industrie forestière est toujours le principal pilier économique de la région.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE/ROGER TREMBLAY

La fanfare municipale lors d’un défilé sur le boulevard principal d’Amqui. C’est exactement ici que le drame d’Amqui de juin 2023 a eu lieu. Un homme a foncé sur des passants, tuant trois personnes et en blessant onze.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

J’ai utilisé à mon tour la caméra de mon père achetée par l’entremise d’un catalogue Sears en 1954. J’ai parcouru les rues d’Amqui et de la vallée de la Matapédia pour honorer mon précieux héritage.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Une statue religieuse prise en photo à la tombée de la nuit dans un village de la vallée de la Matapédia

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

En sillonnant les rangs de la région, j’ai pris une photo de cette vieille camionnette des années 1950. Elle me rappelle l’époque où mon père a pris ses photos.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La rivière Matapédia sillonne la vallée, passant au centre de la ville d’Amqui. Une route naturelle de transport, qui était utilisée par les Autochtones et qui a servi comme tracé pour la construction du chemin de fer et par la suite la construction de la route 132.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Après plus de 65 ans, l’appareil photo de mon père continue de témoigner du présent.