Tout en ignorant de façon prévisible les interrogations sur sa propre responsabilité dans la mort d’Evguéni Prigojine, le président russe a confirmé à mots couverts jeudi la fin tragique du chef du groupe Wagner dans l’écrasement la veille d’un avion privé reliant Moscou et Saint-Pétersbourg.

Vladimir Poutine a souligné, en parlant au passé, que ce collaborateur de longue date du Kremlin avait été un « homme d’affaires talentueux » ayant accepté de travailler pour la « cause commune » à sa demande, allusion apparente au rôle joué par l’organisation de mercenaires dans le conflit ukrainien.

Dans un registre plus critique, Vladimir Poutine a ajouté qu’Evguéni Prigojine avait « commis de sérieuses erreurs durant sa vie », sans donner plus de détails.

PHOTO MIKHAIL KLIMENTYEV, FOURNIE PAR SPUTNIK, REUTERS

Le président russe, Vladimir Poutine, a parlé d’Evguéni Prigojine comme d’un homme au « destin compliqué ».

En juin, il avait qualifié le chef du groupe Wagner de « traître » après que ce dernier eut orchestré une opération surprise sur le sol russe pour protester contre l’intégration projetée de ses troupes à l’armée régulière.

L’avancée militaire, interrompue à quelques centaines de kilomètres au sud de Moscou, avait été largement perçue comme un affront au président russe, qui a fait disparaître plusieurs de ses critiques par le passé.

« La rébellion organisée par Prigojine revenait en quelque sorte à empoigner un tigre par la queue. Il a grandement surestimé sa capacité à contrôler les évènements et son influence sur l’armée et les forces de sécurité », note Eugene Rumer, analyste du Carnegie Endowment for International Peace.

M. Rumer considère l’hypothèse d’une revanche du président russe comme crédible, bien qu’il risque d’être impossible de la confirmer en raison de l’« opacité » entourant le fonctionnement du régime.

Vladimir Poutine a fait allusion jeudi à l’enquête engagée par les autorités russes pour faire la lumière sur l’écrasement de l’avion en assurant qu’elle serait « sans doute » menée à terme avec rigueur.

« L’enquête va donner ce que le Kremlin veut qu’elle donne », prévient M. Rumer, qui doute de la possibilité que le groupe Wagner disparaisse purement et simplement même si plusieurs de ses dirigeants étaient apparemment à bord de l’avion.

L’organisation de mercenaires, très présente en Afrique, a rendu de nombreux services au président russe, qui voudra sans doute continuer de l’utiliser « en lui donnant peut-être un autre nom et de nouveaux dirigeants », dit M. Rumer.

« Pas un hasard »

Quoi qu’il advienne sur ce plan, la mort d’Evguéni Prigojine envoie un message clair, dit-il, à toute personne qui voudrait contester le pouvoir du chef de l’État.

Je ne vois personne dans l’appareil sécuritaire qui a le poids ou la volonté de le défier [Vladimir Poutine] à ce stade.

Eugene Rumer, analyste du Carnegie Endowment for International Peace

Dans la foulée de la déclaration du président américain, Joe Biden, qui avait noté que « peu de choses se passent en Russie sans que Poutine y soit pour quelque chose », d’autres capitales occidentales ont évoqué jeudi, par des commentaires ironiques, son rôle possible dans la mort du chef du groupe Wagner.

La ministre des Affaires étrangères française, Catherine Colonna, a déclaré selon l’Agence France-Presse que « le taux de mortalité parmi les proches de Poutine est particulièrement élevé ».

Son homologue allemande, Annalena Baerbock, a déclaré que ce n’était « pas un hasard » si nombre de pays soupçonnent le président russe quand un ex-collaborateur tombé en disgrâce deux mois plus tôt « tombe littéralement du ciel soudainement ».

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L’avion s’est écrasé dans la région de Tver, au nord-ouest de Moscou mercredi soir.

Des sources au sein des services de renseignement américains ont indiqué au New York Times que la cause la plus probable de l’écrasement de l’avion était une explosion liée à une bombe ou un autre dispositif placé dans l’appareil.

Des blogueurs russes ont évoqué parallèlement la possibilité que l’appareil ait été abattu avec un missile sol-air russe, une hypothèse rejetée par le Pentagone.

Le site de surveillance de vols Flight 24 a publié un rapport montrant que l’appareil avait volé près de 10 minutes à la même altitude sans connaître de difficultés avant de s’écraser dans la région de Tver.

Le constructeur de l’appareil, Embraer, a indiqué qu’il n’avait pas fourni de services de maintenance sur l’avion en question depuis 2019 en raison des sanctions visant la Russie.

Le Brésil, où est basé Embraer, a affirmé de son côté qu’il participerait à l’enquête si la Russie en faisait la demande. Aucune requête en ce sens n’avait été reçue jeudi.

L’Ukraine, qui a mené plusieurs opérations militaires sur le sol russe au cours des derniers mois, a assuré n’avoir « rien à voir » avec l’écrasement de l’avion et la mort annoncée d’Evguéni Prigojine.

« Je pense que tout le monde comprend qui est concerné », a souligné le président ukrainien, Volodymyr Zelensky.