(Port-au-Prince) Les autorités haïtiennes ont rendu public mercredi un projet de nouvelle constitution dans l’espoir de sortir des blocages politiques qui paralysent le pays, un texte qui renforcerait les pouvoirs de l’exécutif à l’heure où le président Jovenel Moïse est sur la sellette.

Un référendum constitutionnel est prévu le 25 avril pour une approbation du texte par le peuple.

Son application bouleverserait la scène politique du pays avec la suppression du Sénat et celle du poste de premier ministre, remplacé par un vice-président désigné en même temps que le président, dans un suffrage à un seul tour au lieu de deux aujourd’hui.

Le but d’une telle réforme pour le président : limiter la paralysie politique à chaque changement de cabinet.  

L’approbation de la politique générale du premier ministre par le pouvoir législatif a en effet toujours été l’objet de longues tractations avec les parlementaires, et de blocages conséquents.

L’actuelle constitution, adoptée en 1987 après les trois décennies de dictature du père et fils Duvalier, est critiquée de toute part pour sa rigidité, mais le moment choisi par Jovenel Moïse pour engager le pays dans ce virage politique n’est pas optimal au regard des critiques grandissantes à son encontre.

L’opposition politique et un nombre croissant d’organisations de la société civile considèrent en effet que le mandat du chef de l’État s’achève ce dimanche, ce que conteste le président Moïse.

Appui logistique de l’ONU

En Haïti, le mandat présidentiel dure cinq ans et débute le 7 février suivant les élections.

Jovenel Moïse avait été annoncé élu dès le premier tour de la présidentielle organisée en octobre 2015, mais ce scrutin avait été annulé en raison de fraudes.

PHOTO ANDRES MARTINEZ CASARES, ARCHIVES REUTERS

Jovenel Moïse

Déclaré vainqueur au deuxième tour de l’élection réorganisée un an après, M. Moïse a finalement prêté serment le 7 février 2017.

Ses partisans estiment donc que son mandat n’a débuté qu’à cette date-là et qu’il s’achèvera le 7 février 2022.

Mais l’opposition considère de son côté que le mandat prend bien fin ce 7 février.

Et le clergé catholique du pays a désormais rejoint la liste des entités de la société civile à se déclarer contre le maintien au pouvoir de Jovenel Moïse au-delà de dimanche.

Sollicité par le pouvoir haïtien, le Bureau intégré des Nations unies en Haïti (Binuh) s’est quant à lui contenté de confirmer apporter un « appui technique, opérationnel et logistique » aux futures élections, sans préciser s’il faisait référence à l’élection présidentielle, aux législatives, ou au référendum.  

À travers un communiqué publié fin janvier, le Binuh s’en réfère au Conseil électoral provisoire pour ce qui est du calendrier.

Certaines voix s’insurgent contre cette réponse de l’ONU.

« Est-ce que l’ONU comprend que les élections ne peuvent pas être organisées dans ce contexte d’insécurité totale ? », s’indigne ainsi le sociologue haïtien Laënnec Hurbon.

« Est-ce que l’ONU comprend l’enjeu des protestations diverses contre les kidnappings et les gangs ? », insiste-t-il.

« Végéter dans le provisoire »

Depuis l’automne, Haïti enregistre une recrudescence des enlèvements contre rançon qui touchent indistinctement les habitants les plus riches, et la majorité vivant sous le seuil de pauvreté.  

Plusieurs manifestations pacifiques organisées depuis juin 2020 pour dénoncer cette insécurité ont été réprimées avec force par la police nationale d’Haïti.

Face à ces tensions sécuritaires et politiques, le projet de référendum constitutionnel attise les critiques jusque dans le camp de Jovenel Moïse, car la procédure choisie ne semble pas respecter les dispositions de l’actuelle constitution.  

Le texte datant de 1987 déclare que « toute consultation populaire tenant à modifier la Constitution par voie de référendum est formellement interdite ».

Concentrant aujourd’hui l’attention des réformateurs, la loi fondamentale du pays est aussi souvent évoquée qu’elle est violée par les politiciens haïtiens.

Le Conseil constitutionnel, qui aurait dû trancher sur la durée du mandat présidentiel, n’existe par exemple que sur le papier tout comme le Conseil électoral permanent.

Depuis plus de trois décennies, chaque président a, en toute illégalité, élaboré des conseils électoraux provisoires.

Les gens qui arrivent au pouvoir « ne parviennent pas à faire un dépassement d’eux-mêmes pour mettre en avant l’intérêt public, l’intérêt général : chacun essaie de prendre des lois sur mesure pour satisfaire ses propres besoins », dénonce le président de la fédération des barreaux d’Haïti, Me Jacques Letang.

« C’est ce qui fait que l’on continue à végéter dans le provisoire plus de 30 ans après la fin de la dictature », conclut l’avocat.