Le bilan de l’explosion d’un camion-citerne, mardi à Cap-Haïtien, a grimpé à 75 morts

(Cap-Haïtien) Le choc est encore profond chez les habitants au lendemain de l’explosion d’un camion-citerne qui a fait au moins 75 morts dans la deuxième ville d’Haïti. Rempli d’essence, le camion aurait chaviré en tentant d’éviter une moto sur la route. Des gens se sont ensuite précipités pour récupérer l’essence, en pénurie dans la ville depuis juin. Cela aurait créé une étincelle et l’explosion fatale.

« On meurt pour du gaz », raconte Loubens Lubin, visiblement découragé, à une station-service de Cap-Haïtien.

Le bilan de l’accident tragique de mardi est passé à 75 morts, mercredi, à la suite de la mort d’une dizaine de personnes qui avaient été gravement blessées dans la catastrophe.

« Ce n’est pas la première fois qu’un camion-citerne a un accident ou qu’il chavire », ajoute M. Lubin, le regard sombre. « Mais après, les gens ne réagissaient pas comme ils l’ont fait [mardi]. »

Le jeune professeur de primaire et de secondaire attend sur sa moto depuis deux heures pour faire le plein. « Dans un pays sérieux, l’essence ne serait pas distribuée comme ça… », dit M. Lubin, en regardant autour de lui.

Des files de voitures empiètent dans la rue derrière nous. Chacune des deux pompes à essence de la station-service est aussi entourée de dizaines de motos qui attendent leur tour.

« Coince-toi là », lance alors un chauffeur de moto derrière lui pendant sa conversation avec La Presse. M. Lubin s’empresse alors de s’exécuter pour ne pas perdre sa place.

En attendant l’essence

L’essence est devenue une rareté à Cap-Haïtien depuis le mois de juin. Des groupes armés ont bloqué tour à tour l’accès des trois principaux terminaux pétroliers du pays dans les derniers mois, tous situés dans la région de Port-au-Prince. Pendant un mois et demi cet automne, tout le pays était à sec et la police, visiblement impuissante.

Si la situation de l’essence s’est résorbée à Port-au-Prince depuis le mois dernier, il est toujours impossible d’en trouver sans prendre son mal en patience à Cap-Haïtien.

Des revendeurs au noir se sont aussi organisés en bord de rue. Ils proposent de l’essence de l’extérieur de la région ou même de République dominicaine, transportée dans de gros récipients de plastique. Beaucoup soupçonnent aussi certains pompistes de la ville d’être de mèche avec des revendeurs.

Le jour de l’explosion, mardi, un autre incident, à 50 km à l’ouest de Cap-Haïtien, aurait aussi causé deux morts en raison du mauvais entreposage de gallons d’essence qui devaient servir à la revente au noir. Une note de presse de la mairie de Port-de-Paix indique en effet qu’un bébé et une personne âgée y sont morts en soirée, précisant vouloir faire « tout ce qui est possible pour interdire la vente de gaz dans la rue afin d’empêcher les gens d’entreposer du carburant dans leur maison ».

Près du pont Neuf, devant lequel a eu lieu l’explosion de mardi matin, de jeunes garçons et jeunes hommes se tiennent en bordure de rue avec des contenants de plastique en main. Des automobilistes ou des motocyclistes s’arrêtent parfois pour ajouter un peu d’essence dans leur réservoir respectif. Ils repartent une ou deux minutes plus tard après avoir payé le double du prix à la pompe en temps normal.

« En vendant, on prend des précautions », explique à La Presse Fedelin, 23 ans, l’un des plus vieux du groupe. « Je ne fume pas quand je travaille, par exemple. »

« La pénurie n’est pas bonne pour moi ou mes proches non plus, tient-il à préciser. Les prix du transport ont doublé. »

« Attention, la police ! », lance alors un des jeunes du groupe, créant un petit instant de panique avant que ses camarades constatent qu’il s’agissait d’une blague. Des agents de police sont passés mardi et ont confisqué une partie de leur essence, mais la demande reste très forte. Plusieurs arrestations auraient aussi été effectuées mercredi dans la métropole du nord d’Haïti pour tenter de contrer le phénomène.

« J’espère que la pénurie va s’arrêter, même si c’est mon gagne-pain », explique lui aussi Inesta, 19 ans, gardant toujours un regard vers la rue, à la recherche de clients potentiels. « Je vais à l’école, j’ai une famille et des amis qui doivent circuler. C’est tout le pays qui est touché. »

Les stations-service ouvertes par intermittence

La station-service en face du groupe de jeunes est fermée. Seul le garde de sécurité est sur les lieux. « On ouvre environ une journée par semaine, explique John Jean, 48 ans. Le reste du temps, on est fermés. »

Lorsque la station-service est ouverte, la queue peut se rendre jusqu’à l’autre côté du pont, indique-t-il.

« Sans la pénurie, il n’y aurait pas eu toutes ces victimes [mardi]. Ça me rend vraiment triste. Beaucoup d’innocents sont morts pour rien », ajoute le gardien de sécurité.

Le gouvernement haïtien a décrété trois jours de deuil national dans le pays. Jusqu’à vendredi, les clubs et autres festivités nocturnes sont notamment proscrits. Le premier ministre par intérim a également promis des « funérailles nationales » dont on ne connaît pas encore les détails. Une grande partie des corps calcinés dans l’explosion ont déjà été enterrés dans une fosse commune.