Les gangs de rue qui contrôlent de larges pans de Port-au-Prince bloquent obstinément l’approvisionnement en carburant du pays, ajoutant aux tourments d’une population déjà durement éprouvée par l’insécurité, l’instabilité politique et une série de catastrophes naturelles.

« On parle souvent de chaos pour décrire la situation en Haïti, mais ce qu’on voit à l’heure actuelle est indescriptible », commente Roromme Chantal, professeur à l’Université de Moncton originaire du pays et qui suit de près la situation.

L’accès à deux importants terminaux pétroliers de la capitale est bloqué depuis des semaines par des groupes criminels que les autorités ne réussissent pas à contrôler, causant une pénurie qui a une incidence à grande échelle, puisque nombre d’établissements et d’entreprises dépendent de génératrices pour assurer leurs besoins en électricité.

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Des motocyclistes tentent désespérément de récupérer de l’essence dans une station-service de Port-au-Prince, le 31 octobre dernier.

Selon Médecins sans frontières (MSF), présente dans la capitale, presque tous les établissements de santé publics ou privés ont cessé l’admission de nouveaux patients, se limitent à des cas graves ou ont carrément choisi de fermer leurs portes.

« La situation est critique à Port-au-Prince », souligne en entrevue le coordinateur médical de l’organisation, Jean-Gilbert Ndong, qui s’alarme notamment de la fermeture vendredi d’un établissement privé d’une centaine de lits vers lequel l’organisation dirigeait régulièrement des patients.

D’autres problèmes majeurs

La crise a notamment restreint l’accessibilité aux services de maternité habituels, forçant MSF à réaliser des accouchements dans un centre qui n’est pas prévu à cette fin, illustre-t-il.

Les établissements gérés par l’organisation doivent aussi multiplier les mesures pour restreindre leur consommation d’énergie et risquent de se retrouver sans carburant dans quelques semaines si rien ne change.

Des employés peinent à se rendre au travail faute de pouvoir trouver du transport, les services publics dans ce domaine étant aussi frappés de plein fouet. « Nous sommes régulièrement obligés de fonctionner avec des équipes réduites », note M. Ndong.

L’accès à l’eau potable risque aussi de devenir un problème majeur. L’organisme public responsable, qui exploite une vingtaine de stations de pompage dans la région métropolitaine, a prévenu il y a quelques jours qu’elle ne réussissait pas à trouver tout le carburant dont elle a besoin.

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Des patients sont allongés sur un bureau de l’hôpital de l’Université d’État d’Haïti, dans un contexte de grave pénurie de carburant, le 27 octobre dernier

Un dirigeant a indiqué au quotidien haïtien Le Nouvelliste que des communes importantes risquaient d’être touchées faute de pouvoir alimenter les groupes électrogènes actionnant les pompes.

La crise s’étend aussi aux télécommunications. La firme Digicel, qui est la plus importante du pays dans ce secteur, a indiqué que près du quart des tours de transmission existantes étaient actuellement inopérantes, compromettant la qualité de la couverture.

Les médias sont aussi touchés. Plusieurs radios ont dû interrompre leurs activités ou réduire leurs heures en ondes.

L’impasse persiste

Tant le premier ministre Ariel Henry que le directeur de la police nationale ont promis de rétablir la circulation à proximité des terminaux pour dénouer la situation, mais l’impasse persiste.

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Ariel Henry, premier ministre d’Haïti

Selon M. Chantal, le blocage de l’approvisionnement pétrolier a une portée politique, parce que le chef d’un important collectif de gangs qui y participe, Jimmy « Barbecue » Chérizier, dit vouloir maintenir la pression tant que le premier ministre demeurera en poste.

L’universitaire souligne que cet ancien policier était un partisan déclaré de Jovenel Moïse, ex-président haïtien tué par un commando armé en juillet. M. Henry a limogé en septembre le directeur des poursuites de Port-au-Prince après qu’il l’a accusé d’avoir joué un rôle dans l’assassinat.

Les États-Unis, qui promettent de renforcer les services policiers haïtiens pour lutter contre les gangs, ont avisé récemment les ressortissants américains présents dans le pays de considérer « sérieusement » la possibilité de rentrer.

Le Canada continue pour sa part de déconseiller tout voyage non essentiel en raison de l’insécurité et prévient que le blocage des terminaux pétroliers peut rendre « difficile » l’obtention sur place de carburant, d’eau ou de nourriture.