(Cavaillon) Elles se tiennent encore bien droites, alors que la destruction s’étend pourtant à perte de vue. Un petit groupe de maisons bâties avec l’aide d’un organisme canadien pour résister aux catastrophes naturelles vient de passer le test du tremblement de terre de samedi en Haïti. Pour certains sinistrés qui attendent anxieusement la reconstruction, il pourrait s’agir d’une bouée de sauvetage.

« Si j’avais été dans mon ancienne maison, je ne suis pas sûr que je serais encore vivant », laisse tomber Marc-Yves Milien, en racontant avec quelle violence la terre avait tremblé samedi.

Le vendeur ambulant de produits pharmaceutiques habitait autrefois une baraque peu solide, qui a été réduite à néant par l’ouragan Matthew en 2016. Il a ensuite vécu deux ans avec ses enfants dans un abri de fortune en tôle ondulée.

PHOTO VINCENT LAROUCHE, LA PRESSE

Une maison construite par Développement et Paix à Cavaillon

Puis des gens ont proposé de l’aider à rebâtir différemment.

Un organisme haïtien, l’Institut de technologie et d’animation (ITECA), appuyé par Développement et paix, ONG catholique dont le siège est à Montréal, a mené un projet spécial dans la région. Vingt-cinq familles ont eu de l’assistance pour construire des maisons d’un type nouveau, sous la supervision d’un ingénieur.

Une maison modeste, minuscule et simple selon les standards canadiens, mais faite pour affronter les tremblements de terre, les tempêtes et les ouragans.

Marc-Yves Milien habite maintenant avec sa famille de huit personnes dans la petite structure de blocs de ciment empilés sur une solide fondation, à Cavaillon. Il met la main sur le mur : tout a tenu le coup lors du séisme de magnitude 7,2 qui vient de dévaster la région.

« Le mode de vie est complètement différent », dit-il au sujet de sa nouvelle demeure.

« Malgré certaines faiblesses, c’est une bonne construction, durable », se réjouit-il.

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Une église ravagée à Les Chardonnières, dans l’ouest du pays

Durement touchée

Cavaillon est une commune rurale située à une vingtaine de kilomètres de la ville des Cayes, dans le sud d’Haïti, connue notamment comme étant le lieu de naissance du poète et écrivain Rodney Saint-Éloi, compagnon de l’Ordre des arts et des lettres du Québec. On y cultivait autrefois du café, mais cette industrie s’est éteinte depuis longtemps ici. Les paysans élèvent quelques animaux, cultivent du maïs, des patates, des pois pour nourrir leur famille et faire un peu d’argent au marché.

La commune a été durement touchée par le récent séisme de magnitude 7,2. Partout, on voit des maisons aplaties au sol, réduites à un tas de gravats. D’autres sont tellement fissurées que personne n’ose y retourner. L’église catholique, plus imposant bâtiment de la communauté, est réduite presque à néant. Des familles errent, s’installent dehors pour dormir, faire à manger, faire leurs besoins personnels.

Le maire, Jean-Marie Naissant, se démenait pour protéger ses citoyens exposés aux éléments, lors du passage de La Presse. « Nous avons besoin de bâches, de tentes, de nourriture et d’eau », martelait-il.

Mais la quasi-totalité des 25 maisons construites à Cavaillon en partenariat avec Développement et paix ont tenu le coup.

« On n’a pas eu de maisons détruites. On a deux ou trois qui ont subi des bris, mais la structure a résisté, elle n’est pas tombée. Pour nous, c’est un très bon résultat. C’est vraiment une occasion importante pour tester la qualité et la durabilité des maisons », souligne Elifaite St-Pierre, gestionnaire de l’ITECA, partenaire local de l’organisme canadien.

Il souligne au passage qu’une autre ONG a construit 12 maisons dans la région ces dernières années et qu’elles se sont toutes effondrées.

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Un édifice détruit par le séisme à Les Cayes, à 20 km de Cavaillon

Travaux difficiles

Après le passage de l'ouragan Matthew en 2016, Développement et paix a offert d’aider à construire les 25 maisons neuves, dans le cadre d’un programme de 1,8 millions de dollars qui était aussi utilisé pour réparer des centaines d’autres résidences endommagées et planter des jardins potagers dans la région. Affaires mondiales Canada avait déjà financé la construction de structures du même genre, développé par l’ITECA, dans d’autres régions d’Haïti.

Les familles devaient fournir une partie de la main-d’œuvre pour la construction et payer de leur poche les matériaux, une dépense d’environs 2650 $, soit 30 % du coût total d’une maison, estimé à 9000 $. Plusieurs se sont endettées pour payer la facture et n’ont pas encore fini de rembourser leur prêt.

Les travaux étaient difficiles, il y a eu des menaces, des tentatives de corruption pour détourner les matériaux. Plusieurs paysans bénéficiaires habitent des lopins de terre reculés, au sommet des montagnes, accessibles par des pistes escarpées, sinueuses et pleines de trous.

Les modestes résidences comprennent deux chambres, une pièce commune et une véranda. Plusieurs n’ont ni l’électricité ni l’eau courante, mais elles constituent un abri sûr en cas de catastrophe naturelle, ce qui est déjà une avancée.

Après le séisme de samedi, Jean-Meyer Exantus, père de quatre enfants, avait un doute. Peut-être que la structure avait été affaiblie et que la maison pourrait tomber en cas de réplique ? Son inquiétude a été de courte durée.

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Jean-Meyer Exantus

« Après le tremblement de terre, on a dormi dehors, mais depuis lundi, toute la famille est rentrée », se réjouit le cultivateur.

David Fleurant, boulanger de 37 ans qui a aussi bénéficié du programme, a vu son four à pain complètement détruit samedi. Il a aussi craint pour la maison, où habitent ses trois enfants, sa femme et ses deux parents. « Il y a eu beaucoup de vibrations, il y avait de la poussière de blocs qui tombait d’en haut », raconte-t-il.

La construction ne semble avoir subi aucun dommage, hormis une petite rallonge qu’il a construite par lui-même sans les conseils de l’ingénieur, et dont le mur tangue maintenant à la moindre poussée.

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David Fleurant (à droite)

Encore fort à faire

Elifaite St-Pierre se réjouit particulièrement du fait que des gens dans des secteurs reculés, difficiles d’accès, ont pu bénéficier de ces constructions.

« Beaucoup d’ONG, lorsqu’il y a des catastrophes, préfèrent travailler près des grandes villes, où il y a plus de visibilité. Les besoins sont grands en zones reculées et marginalisées », dit-il.

Impossible de dire pour l’instant si le programme sera étendu. Avant de reconstruire, il y a encore fort à faire dans les régions touchées.

Mercredi, la Protection civile a annoncé qu’elle autoriserait les sinistrés à s’installer sous des tentes, des bâches et des abris de fortune uniquement sur le terrain des maisons, ou à proximité lorsque l’espace manque. Pas question d’ériger de grands campements de déplacés comme à l’époque du tremblement de terre de 2010. Les camps avaient été le théâtre de viols et de violences, en plus de poser des défis de salubrité.

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La Protection civile a annoncé qu’elle autoriserait les sinistrés à s’installer sous des tentes, des bâches et des abris de fortune uniquement sur le terrain des maisons, ou à proximité lorsque l’espace manque.

« Les solutions adoptées ne doivent pas engendrer de nouveaux risques ni aggraver la précarité des populations touchées », ont indiqué les autorités en rappelant comment l’érection d’énormes campements s’était révélée « difficilement gérable, surtout dans le contexte haïtien ».

Dans une version précédente, nous avons écrit que Développement et paix avait offert 1,8 million de dollars canadiens pour aider à construire les 25 maisons. Or, ce programme a aussi contribué à financer d'autres projets en Haïti.