(Port-Au-Prince) Plus d’un an après le début de la pandémie, Haïti n’a toujours pas un seul vaccin à offrir à ses plus de 11 millions d’habitants, et les experts craignent que la santé des Haïtiens soit mise de côté alors que s’aggravent la violence et l’instabilité politique dans tout le pays.

Jusqu’à présent, Haïti ne devrait recevoir que 756 000 doses du vaccin AstraZeneca, dans le cadre du programme COVAX des Nations unies, qui vise à garantir que les pays les moins fortunés reçoivent des vaccins contre la COVID-19.

Les doses gratuites devaient arriver au plus tard en mai, mais des retards sont prévus, car Haïti a raté un délai administratif et le principal fabricant indien donne désormais la priorité à une augmentation de la demande en Inde même.

Le gouvernement aurait pu demander une avance

Selon l’Organisation panaméricaine de la santé, Haïti n’a pas non plus levé la main pour un projet pilote, qui lui aurait permis de recevoir plus tôt une partie des doses qui lui avaient été attribuées.

PHOTO ANDRES MARTINEZ CASARES, ARCHIVES REUTERS

On recense officiellement en Haïti plus de 12 700 cas de COVID-19 et 250 décès, mais les experts estiment que ces bilans sont en dessous de la réalité. Par ailleurs, les perceptions au sein de la population demeurent problématiques.

Une porte-parole de l’organisation a toutefois salué les autres efforts du pays, notamment le renforcement de la préparation des hôpitaux.

Pendant ce temps, un centre de recherche sur les droits de la personne, cité dans un nouveau rapport du département d’État américain, a révélé que le gouvernement haïtien avait détourné plus d’un million de dollars d’aide dans la lutte au coronavirus. Le rapport a également accusé les représentants du gouvernement d’avoir dépensé dans la « plus grande opacité » 34 millions, en contournant une agence chargée d’approuver les contrats publics.

Lauré Adrien, directeur général du ministère haïtien de la Santé, a imputé les retards à l’examen minutieux du vaccin AstraZeneca et aux craintes concernant le manque d’infrastructure nécessaire pour assurer un entreposage adéquat des doses — Haïti préférerait un vaccin à dose unique ; l’AstraZeneca nécessite deux doses.

Des bilans sous-estimés

De nombreux pays plus pauvres ont attendu longtemps avant d’obtenir les vaccins du programme COVAX, pendant que les pays plus riches bénéficiaient de la manne. Plusieurs pays pauvres ont reçu au moins un premier envoi et certains ont pris les choses en main, obtenant des doses grâce à des dons et des accords privés.

On recense officiellement en Haïti plus de 12 700 cas de COVID-19 et 250 décès, mais les experts estiment que ces bilans sont en dessous de la réalité. Par ailleurs, les perceptions au sein de la population demeurent problématiques. Alors que le port du masque est obligatoire dans les entreprises haïtiennes, les aéroports sont rouverts et les couvre-feux ont depuis longtemps été levés ; les autres mesures sanitaires sont rares.

« Les gens ne croient pas vraiment au coronavirus », admet Esther Racine, 26 ans, mère de deux garçons dont le père est décédé lors du terrible tremblement de terre de 2010. 

Les gens s’inquiètent plus de la violence que du virus.

Esther Racine, 26 ans, mère de deux garçons

Les manifestations en cours et la flambée des enlèvements et des meurtres liés aux gangs amènent d’ailleurs certains à se demander comment on pourra administrer le vaccin dans ce pays. Sans compter que plusieurs Haïtiens craignent d’être vaccinés, malgré les campagnes d’éducation.

En mai 2020, la directrice de l’Organisation panaméricaine de la santé se disait particulièrement préoccupée par les effets d’une éventuelle épidémie à grande échelle, étant donné le système de santé fragile d’Haïti et le fait que beaucoup vivent dans des logements surpeuplés et n’ont pas accès à l’eau potable. Mais des experts, perplexes, admettent que l’hécatombe prévue ne s’est pas produite.

« C’est une surprise pour beaucoup de gens », a déclaré Aline Serin, cheffe de mission en Haïti du groupe d’aide internationale Médecins sans frontières. « Pour le moment, il n’y a pas suffisamment de recherche et de documentation pour expliquer pourquoi certains pays ont été moins touchés par les cas graves de COVID-19. »